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Raging Bull (1980)
de Martin Scorsese
publié le mercredi 12 avril 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°134, avril 1981

Oscars 1981 du meilleur film, du meilleur acteur dans un premier rôle et du meilleur montage

Sorties les mercredis 11 mars 1981, 4 septembre 2002 et 12 avril 2023


 


Quand, en 1964, Bob Dylan chantait "Who killed Davey Moore ?" c’était pour dénoncer la boxe comme phénomène social, comme rite de défoulement morbide dans lequel la souffrance et parfois la mort sont offerts en spectacle. Quand, la même année, William Klein filmait Muhamed Ali, son portrait du personnage dépassait celui du boxeur pour analyser le phénomène personnel et collectif qu’il constituait dans la société américaine.


 

Dans Raging Bull, Martin Scorsese suit une démarche tout autre. Avec l’aide de Paul Schrader pour le scénario et de Robert de Niro dans le rôle de Jake La Motta, il donne à ce portrait d’un boxeur célèbre une dimension qui déborde la simple biographie. Pourtant, au premier abord, Raging Bull se présente presque comme un documentaire reconstitué de sa vie. Le travail sur la photographie pour donner au noir et blanc un aspect d’époque et en même temps une tonalité crue, l’histoire inscrite entre deux séquences dans lesquelles Robert De Niro est présenté comme s’il s’agissait de Jake La Motta aujourd’hui s’inspirent à l’évidence d’un souci de retrouver la vérité du personnage.


 


 


 

L’image que nous en donne le film n’a rien de flatteur. Sa carrière, jalonnée de succès sportifs, débouche sur l’épave bouffie qui se donne en spectacle dérisoire dans des boîtes minables. De sa vie, on retient la figure presque caricaturale du fils d’émigré italien passionné et brutal qui malmène sa femme par jalousie. Or Martin Scorsese n’a aucunement cherché à expliquer psychologiquement ou socialement ce qu’il nous présente comme une sorte de degré zéro de l’existence.


 


 


 

Si au début le personnage prête à sourire par ses outrances, l’insistance avec laquelle Martin Scorsese et Robert De Niro l’enferment dans le rôle d’animal de combat sur le ring et de déchet humain dans la vie finit par devenir insupportable à force de répétitions. Les quelques éléments de scénario qui pourraient donner une approche plus fouillée de Jake La Motta sont systématiquement laissés dans l’ombre. Le rapport au public, l’aspect marchand de la boxe et ses liens avec le milieu sont à peine suggérés. L’environnement italien, le Bronx du début, apparaissent comme de simples éléments de décor et, hormis Joey, le frère-manager du boxeur, les autres personnages ont peu de consistance.


 


 


 

Alors, pourquoi cette fascination de Martin Scorsese pour son personnage jointe au refus d’en donner une image héroïque ? Providentiellement, la citation de saint Jean sur laquelle s’achève le film donne la clé : "Je ne sais pas si cet homme est un pécheur, Ce que je sais, c’est que j’étais aveugle et que maintenant je vois". Que le cinéaste ait jugé nécessaire de reprendre cette phrase de l’enfant aveugle à qui les Pharisiens demandent qui est ce Jésus qui vient de lui donner la vue, confère à Raging Bull la dimension d’une rédemption de son personnage. Il est permis de rester sceptique devant cette vision qui relève de la révélation d’ordre religieux. On peut ne pas être touché par la grâce.


 

Il fut un temps où les figures médiocres de l’histoire américaine étaient traitées par la dérision ou comme les révélateurs des tares d’une société. Il semble que la mode soit maintenant toute autre. Paul Schrader dans American Gigolo (1980) et Hardcore (1979) s’est fait une spécialité de cette approche religieuse. Robert De Niro dans Voyage au bout de l’enfer (1978) incarnait l’Américain à qui est révélée une force supérieure, au-delà du mal. Martin Scorsese s’engagerait-il, lui aussi, sur cette voie ?


 


 


 

On peut considérer que cette vision rédemptrice d’un personnage comme Jake La Motta est inoffensive, ou alors que le talent conjugué du cinéaste et des acteurs nous en donne une image sublimée. Mais ici, le talent débouche sur l’ambiguïté de la fascination, qui devient patente dans les séquences de combats traitées sur un mode esthétique, qui contrastent avec l’approche quasi documentaire du reste du film. La place de la caméra, le ralenti, l’utilisation du son transforment les giclées de sang et les visages tuméfiés en un spectacle qui, au lieu de susciter le dégoût, apparaît comme un exercice de virtuose du cinéma.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°134, avril 1981


Raging Bull. Réal : Martin Scorsese ; sc : Paul Schrader
& Mardick Martin, d’après le livre Raging Bull : My Story de Jake LaMotta, Joseph Carter & Peter Savage ; ph : Michael Chapman ; mont : Thelma Schoonmaker ; mu : Pietro Mascagni Ella Fitzgerald. Int : Robert de Niro, Joe Pesci, Cathy Moriarty, Frank Vincent, Nicholas Colasanto, Theresa Saldana Mario Gallo Martin Scorsese John Turturro (USA, 1980, 129 mn).



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