À plus de quatre-vingt ans, André Téchiné peaufine son tableau des mœurs intimes de son temps en revenant sur les relations frère-sœur - on se souvient de Ma saison préférée (1993), décantées cette fois dans une haute vallée de l’Ariège dont l’âpreté des paysages et le vide humain vont creuser la profondeur.

À 23 ans, David, soldat au Mali, a sauté sur une mine et revient très amoché auprès de Jeanne, sa sœur aînée et seule famille, qui va se vouer à plein temps à sa difficile convalescence. En fait il est totalement amnésique et c’est donc d’une nouvelle naissance qu’il s’agit.

L’intérêt du scénario est que David refuse de renouer avec son passé. Plus encore, il rejette avec force ce qu’on lui dit qu’il a été, et en particulier le fait qu’il ait pu s’engager dans l’armée. Par contre il est de plus en plus troublé par la tendresse de cette jeune femme qui est sa sœur, mais dont il n’a aucun souvenir. Le physique, le mental, se rapprochent ou s’opposent selon les circonstances.

André Téchiné peint ces soins du corps et ces atermoiements des âmes avec une infinie douceur. L’attirance des deux êtres devient évidente et l’amie de Jeanne, mairesse du village et par là garante des règles sociales, avertit David du danger, alors que le vieil original (travesti à ses heures), "chatelain" du coin qui les héberge, suggère à l’inverse de possibles libertés à qui sait les prendre.

Une longue virée sur une grosse moto (dont David a retrouvé la conduite), les deux corps étroitement enlacés, réveille enfin chez le jeune homme des sensations qu’il a sans doute déjà ressenties. Puisqu’il repart à zéro, il est prêt à assumer ces émotions et les sentiments qui vont avec. Mais Jeanne non, et elle saura le ramener aux réalités. S’il est un homme nouveau, le monde, lui, ne l’est pas. L’heure est venue de dévoiler le secret : ils ont déjà fait l’amour ensemble, avant.

Le spectateur peut alors penser que c’est justement le viol de cet interdit qui a amené David à s’engager. Certes rien n’est dit. Pourtant le finale, où leurs corps se frôlent et s’éloignent au gré des vagues (bain d’eau lustrale ?) dans un plaisir réel de se côtoyer, comme des âmes sœurs et non des chairs désirantes, propose une évidence apaisée, loin des fulgurantes passions qui ont pu exister, mais à présent bien dans un réel bonheur de se trouver ensemble.

Le cinéaste parvient à faire admettre cette conclusion - que certains trouveront trop sage - comme juste, pleine et belle. La finesse psychologique et sentimentale du film nous a incité à expliciter ce qu’il exprime dans la simplicité fluide du récit, plutôt que d’analyser la maîtrise signifiante d’une forme situant chaque avancée de l’intrigue dans un contexte - la forêt, le lac, le temps qu’il fait, les grottes, le regard des autres…-, qui aide le public à recevoir vivement les émotions ressenties par les personnages : une pertinente leçon de classicisme cinématographique.

René Prédal
Jeune Cinéma en ligne directe

Les Âmes sœurs. Réal : André Téchiné ; sc : A.T. & Cédric Anger ; ph : Georges Lechaptois ; mont : Albertine Lastera ; mu : Mathieu Lamboley, Astrid Gomez-Montoya et Rebecca Delannet ; déc : Carlos Conti ; cost : Khadija Zeggaï. Int : Benjamin Voisin, Noémie Merlant, Audrey Dana, André Marcon, Sya Rachedi, Alexis Loret, Mama Prassinos, Jean Fornerod, Stéphane Bak (France, 2023, 100 mn).