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Mine du diable (la) (2021)
de Matteo Tortone
publié le dimanche 23 avril 2023

par Ania Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection de la Semaine internationale de la critique à la Mostra de Venise 2021

Sortie le mercredi 19 avril 2023


 


Le récit s’ouvre avec les intonations graves et profondes d’une voix off, sur les images d’un impitoyable combat de coqs. La bataille fait rage et il ne sortira qu’un seul vainqueur… Nous sommes dans la périphérie de Lima, la banlieue où règnent la mort et la pauvreté. Avant de s’endormir, Jorge, jeune chauffeur d’un vieux moto-taxi à trois roues, contemple dans la nuit, les millions de lumières vacillantes sur son bidonville, dont les cabanes en bois aux toits de tôle ondulée s’étendent à perte de vue.


 


 

Chaque jour il se bat pour gagner les quelques sous qui lui permettront de subvenir aux besoins de sa femme et de sa fille. Son moto-taxi rend l’âme, et le jeune père de famille décide de poursuivre ses rêves d’or et de fortune en initiant un voyage empreint de présages qui le mènera jusqu’à la mine la plus haute et la plus dangereuse des Andes péruviennes, à la frontière bolivienne. Isolée au pied du glacier Ananea Grande, perché à 5 100 mètres d’altitude, dans une contrée au paysage lunaire, au bout du monde, se trouve La Rinconada. Jorge débarque dans la petite ville d’à peine quelques milliers d’âmes, son sac-à-dos à l’épaule. Comme lui, ils sont des milliers de travailleurs saisonniers arrivant de toutes parts, mus par l’espoir de faire fortune en trouvant le bon filon.


 


 

La population locale y célèbre de sombres légendes (1). La mine est la demeure du diable. L’or lui appartient, et El Tio de la Mina exige des sacrifices humains. Car dans l’infra-monde fantastique des mines où la vie humaine ne répond plus aux seules règles du monde réel, c’est avec le diable qu’il faut composer. Et pour que les hommes continuent d’exhumer les pépites de plus en plus rares, l’ange noir de la mort exige toujours plus.
Afin de supporter sa solitude, le froid intense et le travail harassant, Jorge se rend souvent dans un bar de mineurs, il dilapide le peu d’argent gagné en alcool et en prostitution. Son rêve tourne très vite au cauchemar.


 


 

Entre film documentaire et fiction, Matteo Tortone (2) signe une fable sociale bouleversante pétrie des rêves, de la détresse des êtres les plus démunis et rend hommage à tous ces hommes dévorés par la terre dont personne ne se souvient. La quête insatiable de l’or a pris une formidable ampleur et marque toute l’histoire d’une partie de la civilisation. Plus que la réalité péruvienne, c’est bien l’illusion de l’exploitation capitaliste qui a fait de l’or le symbole d’une course à la destruction que développe l’intrigue. La région amazonienne de Madre de Dios, au Sud-Est du Pérou, abrite l’une des industries minières artisanales les plus importantes au monde et révèle l’ampleur des chantiers d’orpaillage illégal. Cette soif de l’or a opéré de profonds bouleversements paysagers, logistiques, économiques, urbains. Les dommages environnementaux et sociaux sont colossaux. Tout ce système qui repose sur le modèle extractiviste et des rapports prédateurs à la ressource, affecte toutes les économies latino-américaines, et fait peser de lourdes menaces sur tout le bassin de l’Amazonie.


 


 

Tourné en couleurs puis réalisé dans un noir et blanc d’une grande beauté, La Mine du diable dégage une puissance visuelle véritablement tellurique. Ce parti pris esthétique, efface les couleurs de l’or et transforme ce désert de pierres, de roches et de boue en un univers intemporel. L’onirisme du paysage fait écho aux ambitions du jeune protagoniste au destin terrible.


 


 

Matteo Tortone a mis cinq années pour faire ce film, une œuvre lumineuse et métaphorique sur la condition humaine. En quelque sorte, nous sommes misérables et pour être plus forts que notre condition, pour la dépasser, nous aurions à "extraire la beauté du mal". "Tu m’as donné ta boue et j’en fait de l’or", ce qui est l’acte suprême de la création tel que le définit Charles Baudelaire dans son projet de préface au recueil Les Fleurs du Mal (3). "Extraire la beauté du mal" n’est-ce pas là ce qui donne du sens à notre vie ?

Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le documentaire La Tentation de Potosi de Philippe Crnogorac (2010), tourné en Bolivie dans le plus grand gisement d’argent du monde, aborde ce thème du pacte avec le diable .

2. Matteo Tortone, né en 1982, est d’abord directeur de la photographie. Il a co-réalisé avec Alessandro Baltera, les documentaire White men (2011) et Swahili Tales (2012). La Mine du diable est son premier film réalisé en solo.

3. Charles Baudelaire, Œuvres posthumes, Paris, Société Du Mercure, Paris, 1908.


La Mine du diable (En camino a La Rinconada) aka Mother Lode. Réal : Matteo Tortone ; sc : M.T. & Mathieu Granier ; ph : Patrick Tresch ; mont : Enrico Giovannone ; mu : Ivan Pisino. Int : José Luis Nazario Campos, Damian Segundo Vospey, Maximiliana Campos Guzman, Juan José Nazario Campos, Juan Pedro Nazario Campos, Cristian Nazario Campos, Katerine Campos (France-Italie-Suisse, 2021, 86 mn).



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