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Delouche, Dominique (livre)
Les Nuits de Cabiria de Federico Fellini (2020)
publié le jeudi 21 avril 2022

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°402-403, octobre 2020

Dominique Delouche, Les Nuits de Cabiria de Federico Fellini, Paris, Gremese France, 2020.


 


Au premier abord, on ne voit pas trop ce qui différencie les deux collections (parmi bien d’autres) de l’éditeur Gremese, "Les meilleurs films de ma vie" et "Les films sélectionnés", tant sur la forme (dimensions et paginations identiques) que sur le fond - L’Atalante (1934) et La Fièvre dans le sang (1961) dans la première collection, La Douleur (2017) et La Grande Vadrouille (1966) dans la seconde, selon quels critères ?
Quant à leur contenu, chaque ouvrage reprend la formule qui fait, depuis 1961, le succès de L’Avant-Scène Cinéma, comme elle avait fait, les décennies précédentes, celui de Film complet et de Mon film (1), à savoir le dépiautage serré d’un film, dialogues complets pour L’Avant-Scène, découpage commenté chez Gremese. À chaque lecteur d’en juger selon ses envies ou besoins.

Que Dominique Delouche ait été chargé des Nuits de Cabiria (1957) ne surprendra personne. Il y a longtemps qu’il s’attache à compléter le monument Federico-Fellini qu’il a commencé d’ériger sur le vif (2) et dont Jeune Cinéma a rendu compte au fil des ans (3). Il était assistant du Maestro sur Cabiria, et nul n’était plus qualifié que lui pour explorer le film et ses marges. C’est donc un point de vue rapproché qu’il livre, montrant au plus près le travail du réalisateur, qui tient à tout maîtriser, en particulier Giuletta Masina, qu’il dirige avec une rigueur, et parfois une férocité, étonnante (cf. le clash lors de la séquence de la soirée avec Amedeo Nazzari, p. 42-43).

Les lecteurs des ouvrages précédents connaissent, forcément, certaines des anecdotes rapportées par l’auteur - comme celle de sa rencontre, déterminante, avec le couple après l’échec de la présentation de La strada à Venise en 1954.
Mais celles qui concernent le tournage - les apparitions de Pier Paolo Pasolini, à qui Federico Fellini avait demandé quelques dialogues et les à-côtés de leurs relations (4), la séquence éprouvante du pèlerinage au sanctuaire du Divino Amore, où les assistants durent reconstituer les squelettes suspendus en ex-voto éparpillés par les figurants en délire, l’antagonisme entre le réalisateur et son chef-opérateur Aldo Tonti - sont passionnantes, éclairant d’un jour inédit quelques aspects du film.
Tout comme les scènes coupées à la dernière minute avant la présentation cannoise par Dino De Laurentiis (la séquence de "l’homme au sac", p. 53, désormais visible sur le DVD), ou les considérations sur l’anticléricalisme ambigu du cinéaste. Comme nous l’écrivions l’an dernier, il reste toujours quelques savoureuses brindilles felliniennes à découvrir.

Le texte est accompagné d’une revue de presse copieuse, mais pas si enthousiaste qu’on pouvait l’imaginer. Entre thuriféraires subjugués (André Bazin, Jean de Baroncelli), et critiques plus circonspects (Jacques Doniol-Valcroze, Jeander), et pour avoir revu le film récemment, on se situerait plutôt du côté des seconds, même si ce troisième volet de la "Trilogie de la Rédemption" nous semble le plus supportable. Quoi qu’il en soit, le livre de Dominique Delouche est indispensable pour tout amateur, même non idolâtre, de Federico Fellini.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 402-403, octobre 2020

1. Périodiques longtemps mal considérés, car destinés au lectorat populaire (mauvais papier, photos laides) mais qui sont souvent les seules traces consultables de films oubliés ou disparus - d’où leur valeur sur le marché de l’occasion.

2. Geneviève Agel & Dominique Delouche, Les Chemins de Fellini, préface de Roberto Rossellini, suivi du Journal d’un Bidoniste, Paris, Éditions du Cerf, coll. 7e art, 1956, 160 p.

3. Dominique Delouche, Mes felliniennes années : 1954-1960, Paris, P.A.S., coll. Cinéma, 2007, in Jeune Cinéma n°310-311, été 2007 ; Dominique Delouche, Federico Fellini, six ans avec le Maestro, in Jeune Cinéma n°394, mai 2019.

4. Ainsi, la description, p. 52, de la façon dont FF fit languir PPP avant de ne pas produire Accatone (1961). En revanche, on lit avec étonnement que ce serait Bernardo Bertucelli (sic) qui aurait produit ce film, alors qu’on le pensait produit par Alfredo Bini & Cino Del Duca, Bernardo Bertolucci n’étant que premier assistant.


Dominique Delouche, Les Nuits de Cabiria de Federico Fellini, Paris, Gremese, coll. Les films sélectionnés, 2020, 124 p.



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