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Temps mort (2022)
de Ève Duchemin
publié le mercredi 3 mai 2023

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°422, mai 2023

Sortie le mercredi 3 mai 2023


 


D’emblée, la typographie du titre TEMPS MORT en plein écran, en majuscule et noir & blanc, évoque quelque chose de fort, de puissant, d’inéluctable. La bande son, forte de voix, de cris et de portes qui claquent, annonce la dureté du lieu. Temps mort, premier long métrage de fiction de Ève Duchemin, après des documentaires - Avant que les murs tombent (2009), L’Âge adulte (2012) -, suit la vie de trois détenus, le temps d’une permission de 48 heures. Le déroulement est ponctué par les mots Samedi et Dimanche inscrits, là encore, en plein écran, comme une horloge sonnant l’irrémédiable. Hors de la prison, les trois personnages vont éprouver auprès de leur famille, le retour à la vie.


 

Le plus âgé, le plus résigné et probablement le plus humain, Hamosin, incarcéré pour une longue peine, pressent l’illusion de vouloir renouer après vingt-cinq années de silence. Mais il tente le rapprochement avec ses enfants, il danse avec son ex-femme et ses sens se ravivent. Des scènes bouleversantes, suggérées dans l’épure et la simplicité. L’acteur Issaka Sawadogo incarne parfaitement cet homme de silence rejeté et renvoyé par les siens dans son isolement.


 


 

Karim Leklou interprète Bonnard, un écorché vif, psychiquement fragile, débordant d’affects et d’émotion. Les scènes dans la maison familiale sont d’une violence rare, les sentiments explosent, filmés au plus près des visages et des corps, dans les regards se mêlent le bonheur et la crainte. Littéralement plongés dans des situations imprévisibles, nous sommes des voyeurs désarmés face aux émotions à fleur de peau, aux vertiges incontrôlables prêts à basculer dans l’horreur. La réalisatrice manifeste une réelle proximité avec le cinéma de Maurice Pialat, un cinéma déchirant.


 


 

Colin, le troisième personnage (Jarod Cousyns, acteur non-professionnel), est le plus jeune et le plus démuni face à sa sœur et à sa mère qu’il aime et dont il ressent un besoin immense. La nuit passée avec une jeune fille, un moment à la fois désiré et maudit, crée, malgré son regret de n’être pas avec sa mère, un lien très attachant, une sorte de complicité timide, une tendresse.


 


 

Après En bataille (2016), portrait d’une directrice de prison, Ève Duchemin propose ici un autre regard sur l’univers carcéral. Sa prison est absente, réduite à quelques plans rapides, mais elle hante l’esprit par les bruits insupportables et répétitifs du quotidien, l’espace peuplé de chocs métalliques, de clés, de portes et de cris. Ce que l’on apprend d’elle, vient de ces trois détenus dont on ne sait presque rien. Cependant, à travers leur mal-être et leur vulnérabilité, s’exprime une véritable "peine" à vivre libre. Un trop-plein de bonheur pour Bonnard déchire en lui la retenue qu’il a su construire, l’errance passée et mauvaise de Colin l’entraîne à contrecœur loin de sa mère, et le malheur profond d’Hamousin l’empêche d’être heureux de revoir ses enfants.


 


 

Rien n’échappe à la réalisatrice, ni la sincérité des caractères, ni la faute commise, ni la peine infligée. Elle filme avec énergie et montre la détresse des hommes face à l’abandon, au renoncement, à la folie. La liberté se pose à chaque instant sur les visages des personnages où se glisse, toujours dissimulée, l’espérance de survie au dehors. Comment résister, se tenir digne et résolument gagnant, face à l’enfermement ancré dans la mémoire ? Au-delà de l’histoire, ce film questionne la prison, ses faiblesses et ses manquements face aux perspectives d’en sortir.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°422, mai 2023


Temps mort. Réal, sc : Ève Duchemin ; ph : Colin Lévêque ; mont : Joachim Thôme ; mu : Fabien Leclercq. Int : Karim Leklou, Issaka Sawadogo, Jarod Cousins, Johan Leysen (France, 2022, 118 mn).



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