home > Films > Showing Up (2022)
Showing Up (2022)
de Kelly Reichardt
publié le mercredi 3 mai 2023

par Francis Guermann
Jeune Cinéma n°422, mai 2023

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2022

Sortie le mercredi 3 mai 2023


 


Lizzie (Michelle Williams) est une sculptrice qui prépare une exposition de ses œuvres. Elle est pleine de doutes sur son travail, pourtant apprécié autour d’elle, angoissée par un tas de petits problèmes qui semblent vouloir la retarder, voire mettre en danger sa fragile production de céramiques : les relations qu’elle entretient avec sa famille dysfonctionnelle ; sa voisine et logeuse Jo (Hong Chau), artiste comme elle, qui ne se résout pas à réparer son système d’eau chaude ; son chat prédateur ; un pigeon blessé qui s’invite chez elle et dont il faut qu’elle s’occupe ; un four qui cuit un peu trop fort une de ses céramiques.


 


 

Elle vit et travaille au milieu d’artistes, employée dans une école d’art de l’Oregon où sa mère officie. Le jour du vernissage de son exposition arrive enfin, donnant lieu à un court psychodrame avec son frère borderline, heureusement sans conséquence. In fine, le pigeon est libéré et s’envole.


 


 

Raconté ainsi, un film de Kelly Reichardt se résume toujours à un argument très simple, voire faible en apparence. Elle-même a déclaré modestement, dans une interview au Guardian : "Mes films sont comme des coups d’œil furtifs à des gens de passage". Rien d’épique ni de spectaculaire, toujours le quotidien de personnages communs, qui mènent des relations amicales.


 


 

Mais en creux se trouve toute l’Amérique. Il y a toujours chez elle quelque chose de différent de ce que le spectateur a l’habitude d’attendre d’un film de genre. Il existe un décalage dans le récit : celui-ci existe bien, à l’américaine, c’est à dire solide et en référence - ses incursions dans le western avec La Dernière Piste (2010) et First Cow (2019), dans le film dramatique avec Certain Women (2016), ou écologique avec Night Moves (2013). (1) Cependant les graduations de valeurs sont inhabituelles, des détails infimes sont mis en avant, des scènes habituellement capitales, réduites. Ce qui compte ce sont les personnages et leurs relations, dans le processus aussi bien que dans le résultat.


 


 

Le film agit en partie en différé. Puisqu’il est inutile de montrer ce qu’on sait déjà (dans le genre, les clichés sont usés), le film libère peu à peu, dans son étrangeté, de petites capsules qui ne se révéleront à la conscience du spectateur que plus tard. On y réfléchit, elles réapparaissent et prennent sens. C’est la richesse de ce cinéma subtil et engagé, qui déconstruit allègrement pour proposer une vision humaine et collective très actuelle, féministe aussi par son point de vue, sans militantisme.


 


 

Dans Showing Up (qui signifie à la fois "dévoiler, rendre visible", "se présenter sur son lieu de travail chaque jour" et "se montrer présent aux autres "), le monde de l’art est évoqué par le quotidien d’artistes, comme une activité habituelle. Pas de notion de sublime ni de génie, ni même de marché de l’art. Les artistes principales qui ont prêté leurs productions pour ce film sont des femmes, Michelle Segre, Jessica Hutchins et Cynthia Lathi. Leurs œuvres s’insèrent naturellement dans un récit et des lieux où elles apparaissent liées intimement aux personnages.


 


 

Kelly Reichardt a fait revivre, pour les besoins du tournage, l’École d’Art de l’Oregon, vouée à la destruction après le film, en reconstituant une communauté d’artistes qui y travaillent. Elle s’est inspirée du mythique Black Mountain College, université libre créée en 1933 en Caroline du Nord, dont l’idée était de mettre l’art au centre de tout enseignement, afin de développer une pensée créative, dans un bain mettant en valeur le sens de la démocratie. Cet aspect collectif du travail dans l’élaboration patiente et partagée, est aussi celui de la réalisatrice, fidèle à ses collaborations - avec son co-auteur Jonathan Raymond, avec l’actrice Michelle Williams - c’est le quatrième film qu’elles font ensemble -, avec son opérateur Christopher Blauvelt, avec son ami réalisateur et producteur Todd Haynes -, dans une économie du cinéma presque artisanale. C’est aussi son parti pris d’enseignante en école d’art, elle-même accordant beaucoup d’importance à la transmission. Et c’est passionnant.


 


 

Kelly Reichardt a passé de longs mois à élaborer Showing Up, allant jusqu’à réaliser deux documentaires de dix minutes sur les artistes Michelle Segree et Jessica Hutchins - comment filmer leurs œuvres, chercher une forme avec le choix d’une focale et d’un format d’image, donner le rapport entre le quotidien de l’artiste et l’élaboration de l’œuvre -, toutes approches qui lui ont servi, alors même que les vrais artistes n’apparaissent pas à l’écran dans le long métrage. Showing Up est un film sur lequel on peut s’arrêter, le survoler, y revenir. Il ne s’épuise pas facilement, se présente légèrement, mêle humour et gravité, contient humeurs et profondeurs. Si les amateurs du Mystère Picasso (il y en a encore !) (2) passent leur chemin, tout comme les promoteurs de sanctions définitives sur l’art ou les collectionneurs d’images de génie, les pragmatiques et les amateurs de cinéma goûteront un instant le spectacle et garderont ce film, avec bonheur, dans un petit coin de leur cerveau sur-occupé.

Francis Guermann
Jeune Cinéma n°422, mai 2023

1. Certaines femmes, Jeune Cinéma n°380, mai 2017 ; Night Moves, Jeune Cinéma n°359 mai 2014 ; First Cow, Jeune Cinéma en ligne directe.

2. Le Mystère Picasso de Henri-Georges Clouzot (1955).


Showing Up. Réal, mont : Kelly Reichardt ; sc : K.R. & Jon Raymond ; ph : Christopher Blauvelt ; mu : Ethan Rose. Int : Michelle Williams, Hong Chau, André Benjamin, Heather Lawless, James Le Gros (USA, 2022, 108 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts