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Berlin 2010 II
Le Forum
publié le mardi 10 février 2015

Berlin, 11-22 février 2010, 60e édition

Les 40 ans du Forum 

par Heike Hurst
Jeune Cinéma n°329-330, printemps 2010

La cerise sur le gâteau de cette édition fut La bocca del lupo (La Gueule du loup) de Pietro Marcello, grand Prix du Festival de Turin, une histoire d’amour pas comme les autres et un film sur la disparition de la classe ouvrière en Italie en général, à Gênes en particulier…

Des sujets passionnants

The Oath de Laura Poitras, sur un garde de corps de Ben Laden, est un film ambigu où la position des personnes interviewées reste floue, et où leurs convictions ne sont peu ou pas du tout ébranlées, même par une détention à Guantanamo.

Schnupfen im Kopf (Head Cold) de Gamma Bak, où une femme déstabilisée cherche à guérir.
Sa schizophrénie vient directement de la division de Berlin : elle passait tous les deux jours le nombre d’heures autorisées de l’autre côté. Petit à petit, sa personnalité se clive et intègre cette division comme un second moi. Elle souffre terriblement de cette séparation. Elle n’arrive plus ni à partir, ni à revenir. Le destin de Berlin incarné dans le corps d’une femme artiste et musicienne.

Die flexible Frau (La Femme malléable) de Tatjana Touranskyi est une tentative de décrire les errements d’une femme déboussolée par la perte de ses repères.
Greta, 40 ans, est intégrée en apparence. Mais elle n’arrive pas à retrouver un travail, alors qu’elle est architecte de métier. Elle n’arrive pas à se décider, ne sait pas comment se comporter dans une société qui ne semble passionnée que par les bébés et les femmes enceintes. Elle s’enfonce dans l’alcoolisme…. Malgré la gravité du sujet, le film est une tentative enjouée de réfléchir sur les mutations profondes subies par les femmes alors que les mouvements de libération leur promettaient des lendemains différents.
Le film commence comme un hommage à Ulrike Ottinger et son film Bildnis einer Trinkerin (Portrait d’une ivrogne) et rappelle l’admirable Redupers - Die allseitig reduzierte Persönlichkeit (Personnalité réduite de toutes parts) de Helke Sander (1977) - programmé également dans l’hommage des 40 ans du Forum. Le film fait rire et ne manque pas de charme, grâce à son interprète Mira Partecke, actrice aux multiples facettes.

La liste prometteuse de cinéastes appréciés - Angela Schanelec, Thomas Arslan, Sharunas Bartas, Sabu - ne résistait pas toujours à la vision des films.

S’en sort haut la main Orly de Angela Schanelec. Elle sait se glisser avec une réelle intelligence dans des lieux aux dispositifs préexistants : ici l’aéroport d’Orly avec les gens qui attendent d’embarquer.
Les personnages qu’elle introduit dans le monde de l’aéroport sont des acteurs, Natacha Régnier, Mireille Perrier, Bruno Todeschini, Maren Eggert (l’actrice de son film précédent, Marseille) et un jeune couple qu’elle observe attentivement.
Mais la situation de ceux qui travaillent là, avec la servitude quotidienne, l’uniforme, les horaires et les collègues, l’intéresse aussi.
Sa caméra suit quatre couples dont une mère et son fils qui semblent se parler pour la première fois depuis longtemps. Ils sont mêlés à cette foule qui participe au film sans le savoir, ébauche de rencontres amoureuses et tristesse d’adieux de toutes sortes : de la lettre de rupture à la lecture d’un texte littéraire, toutes les manifestations de l’intelligence humaine trouvent leur place dans ce film dont émane une grande douceur. Pourquoi ce film n’était-il pas en compétition ?

Im Schatten (À l’ombre) de Thomas Arslan déçoit. Il s’agit d’un film complètement froid sur un gangster dépourvu d’états d’âme. Un thriller bien fait qui ne dégage rien, à part un sentiment de désincarnation réussie.

Même déception pour Sharunas Bartas et son Indigène d’Eurasie, car la promesse du titre n’est jamais honorée.
Le cinéaste joue lui-même le personnage fédérateur, donc admet implicitement que ses images sont avant tout un survol égocentrique où apparaissent partout les mêmes chambres ordinaires, les trottoirs de bistrots glauques ou le sordide généralisé des pays de l’Est. Il bat le rappel de la mafia russe, Mal absolu qu’il utilise comme point d’ancrage pour d’autres histoires.
Reste une traversée agitée du bloc ex-soviétique, le corps maladivement amaigri du cinéaste qui ne s’épargne rien et une chasse à l’homme qui nous montre partout la même désolation : la mort définitive de toute humanité et l’erreur de croire qu’elle aurait pu subsister dans ces conditions. Ses femmes sont de tels clichés, avec pipes et passes sordides, et souteneurs dont il semble encourager les comportements, que le film laisse un souvenir très pénible.

Un brûlot japonais, Kanikösen de Sabu, avait aussi des visées formelles, mais davantage de talent pour les faire passer.
Le film pose la question de la lutte de classes et celle du héros et du meneur. Lieu de l’action, un bateau de pêche industrielle. Soulèvement et répression se répètent. Le leader syndical qui s’expose seul, sera repéré et éliminé, alors que les pêcheurs solidaires auront plus de chances d’obtenir gain de cause contre les contremaîtres qui règnent avec le fouet.
On assiste à l’éclosion de la clarté dans les revendications, car toutes les possibilités de vies, toutes les langues sont là.
Ce conte de fées social-démocrate et marxiste à la fois arrive à charmer, car Sabu raconte cette histoire militante avec un sens de l’absurde accompli. Il explique les raisons de tous ces hommes de vendre leur force de travail, crée du burlesque quand deux fuyards sont recueillis par un navire russe.
Entre lutte et exploitation, entre crabes géants et conserves fabriquées à la chaîne, on n’a pas le temps de souffler.
Formellement, c’était un des plus beaux films du Forum.

Heike Hurst
Jeune Cinéma n°329-330, printemps 2010

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