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Nos cérémonies (2022)
de Simon Rieth
publié le mercredi 3 mai 2023

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°422, mai 2023

Sélection de la Semaine de la critique du Festival de Cannes 2022

Sortie le mercredi 3 mai 2023


 


La première séquence de Nos cérémonies est impressionnante et intrigante. Noé, 4 ans, peut-être, et son frère Tony, 7 ou 8 ans, jouent au plus courageux : c’est à qui atteindra le plus vite et le plus loin le bord de la falaise…


 


 


 

Elle s’achève sur chute dans le vide de Tony, l’aîné des deux gamins. Il est mort. Noé lui demande "C’est comment la mort ?" Tony va lui répondre : "Personne ne doit savoir que je suis mort, et que tu m’as ramené".


 


 

Dix ans après, les deux frères, à l’occasion de la mort de leur père, reviennent dans la maison de famille à Royan. Ils y retrouvent Cassandre, leur amour d’enfance. On assiste alors à des relations de vacances d’une petite bande qui semble a priori parfaitement classique, des rendez-vous de plage, des bamboches.


 


 


 

Sauf qu’entre les deux frères se révèle une histoire d’amour fraternel à la fois inconditionnel et toxique, isolée. Le contre-point, incarné par Cassandre, ne diffuse guère d’énergie propre. Elle se trouve, malgré elle, devenir un des enjeux d’une compétition qui se poursuit, et ne peut qu’exprimer une discrète consternation.


 


 


 

Cette relation fusionnelle dans laquelle ils ont grandi pourrait être une forme de résistance à la violence du père. Leur lien, empreint d’un imaginaire d’ado tout masculin, nourri de vidéos, ne distingue pas bien puissance, force et violence. Leur rivalité pourrait aussi fonctionner comme un exorcisme symbolique consenti, permettant des mues vers l’âge adulte. Mais elle est étrangement cruelle, balisée d’une succession de rites fantastiques, destructeurs et régénérateurs.


 


 


 

Entre eux, la passion couve. L’aîné, Tony, est à la fois dur et dominant, et pétri d’angoisse, implorant son cadet, Noé, de l’aider à apaiser ses crises de souffrances et ses paniques, qui deviennent insupportables au contact de la réalité. Chez Noé, le petit frère ennemi, le besoin d’expiation reste incertain. Leur amour abusif est tissé de ce "secret", un drame, et aussi un miracle relevant du fantastique, qui les rend douloureusement indissociables. "Fallait pas me ramener", dit Tony. La scène finale remettra les deux frères chacun à sa place.


 


 

Dans Nos cérémonies, les adultes sont hors champ. Simon Rieth dit s’intéresser, personnellement et essentiellement, à la fraternité (1) et à l’adolescence. Dans ce passage difficile de la vie, les enfants se séparent des grandes personnes qui ne les comprennent plus, un goulet qui ressemble à une sorte de mort.


 


 

Pour incarner ses deux héros, outre les deux petits garçons remarquables, il a choisi deux frères, Raymond et Simon Baur, sans expérience d’acteur, mais pas vraiment non-professionnels, puisqu’ils sont des artistes, champions d’arts martiaux et mannequins. "Mon frère, je le tue tous les jours au kung fu depuis 10 ans", dit Simon Baur, l’aîné dans le film, le cadet en réalité.


 

Parmi les influences que Simon Rieth reconnaît, il cite celle du l’univers irréel de M. Night Shyamalan. Il dit aussi que ce premier film est le prolongement de deux de ses courts métrages, Feu mes frères (2016), et Sans amour (2019), deux sortes de "documentaires" sur la jeunesse, quasi autobiographiques, dans un Sud lumineux. Le cinéaste a 27 ans, il a déjà commencé à se constituer une famille de cinéma, d’une moyenne d’âge en dessous de 30 ans. Il dit avoir toujours préféré travailler, "non pas avec les plus expérimentés, mais avec ceux qui s’investissent le plus dans ses projets". On attend la suite avec impatience.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°422, mai 2023

1. Pour le scénario de Nos cérémonies, Simon Rieth dit être parti de Britannicus. Sur la rivalité entre frères, on peut penser aussi à À l’est d’Éden (East of Eden) de Elia Kazan (1955), ou à Faux-semblants (Dead Ringers) de David Cronenberg (1988).


Nos cérémonies. Réal : Simon Rieth ; sc : S.R. & Léa Riche ; ph : Marine Atlan ; mont : Guillaume Lillo ; déc : Margaux Mémain ; cost : Charlotte Richard. Int : Raymond Baur, Simon Baur, Maïra Villena, Gregory Lu, Benjamin Lu (France, 2022, 104 mn).



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