A priori, les deux amants n’avaient rien en commun et ils n’étaient pas censés se rencontrer. Aussi, pour ce télescopage inattendu, l’entame de 99 Moons est-elle crue : Bigna, la chercheuse bien engagée dans sa carrière, se fait agresser dans un parking par Franck, un beau grand blond Suisse masqué. Elle le neutralise, s’en délecte, et ça le séduit. Bigna est une femme forte et libre, sa jouissance à elle implique l’effacement de ses partenaires éphémères.

Un soir, elle le revoit dans son Hot Bar : masques, décibels, ecstasy. Elle croit en rester à l’utilitaire. Mais, après avoir testé sa fidélité, elle s’en trouve amère. Du coup, elle lâche une mission professionnelle pour lui : décidément, c’est comme ça, un désir plus fort que tout s’est installé entre eux.

L’histoire se déroule sur 99 lunes, sept ans et demi. C’est sur la durée que Jan Gassmann conte les épisodes de surgissement et d’assouvissement d’une passion peu compatible avec les programmes sociaux des envoûtés, ainsi que les séparations, les changements de vie, et les retrouvailles hasardeuses, toujours aussi impérieuses. C’est comme ça, incontrôlable, insurmontable, douloureux.

Elle lui dit : "Tu confonds l’amour et le sexe". Il pense que cela peut aller ensemble. Leurs conjoints, civilisés, admettent la situation, chacun est désinhibé, résigné, chacun prend ce qu’il peut, ne négocie pas : des monades urbaines.

Jan Gassmann, régulièrement récompensé dans les festivals, vient du documentaire. Pour cette fiction, il a engagé des acteurs non-professionnels, Valentina Di Pace et Dominik Fellmann. Il explique ce choix par son amour de la surprise qu’ils apportent au tournage. "Suivre à la lettre le scénario que j’ai en tête, c’est de la reproduction, ça ne m’intéresse pas", dit-il.

Le cinéaste filme les scènes d’amour le plus souvent en gros plans, longs et continus. Elles sont nombreuses et chaudes, et les comédiens, pour se sentir en confiance, ont été chauffés par une "coordonnatrice d’intimité". Si le thème de la passion physique addictive et obsessionnelle est banal, Jan Gassmann en fait un beau film d’amour.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°416, été 2022

99 Moons. Réal, sc : Jan Gassmann ; ph : Yunus Roy Imer ; mont : Miriam Maerk ; mu : Michelle Gurevich. Int : Valentina Di Pace, Dominik Fellmann, Danny Exnar (Suisse, 2022, 110 mn).