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Fairytale (2022)
de Alexandre Sokourov
publié le mercredi 10 mai 2023

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection du Festival du film de Locarno 2022

Sortie le mercredi 10 mai 2023


 


Dans les limbes, les multiples images de propagandes de Churchill, Staline, Hitler et Mussolini, discutent en attendant que Dieu leur ouvre ses portes.


 


 


 

Outre le fait d’être intégralement en noir et blanc, l’une des particularités de cette œuvre consiste en ce que chacune des images des figures est représentée de façon hyperréaliste dans un environnement abstrait. Un environnement constitué de forêts, de cavernes et de déserts, évoquant parfois les enfers grecs (qui fait penser aux enfers du Orphée de Jean Cocteau), dont le Styx serait formé d’images de foules ivres de guerres.


 


 

Cette alliance entre réalisme et abstraction génère un trouble sensoriel qui entre en résonance avec ce que sont les limbes : une zone d’entre-deux. Ce trouble est nourri par la bande sonore conçue comme un fluide continu qui enveloppe le spectateur et l’immerge dans cet espace cauchemardesque.


 


 

Cette perturbation née de la collusion entre précision et abstraction est encore accentuée par le caractère de chacune des figures légendaires convoquées. Toutes parlent de façon basique, vulgaire, bête, ou peuvent se retrouver, tel Hitler sur des toilettes, dans des situations révélant leur humanité. Une humanisation de quatre légendes qui fait ressortir l’ampleur de la bêtise et de l’horreur qu’a été une Seconde Guerre mondiale engagée par des hommes se prenant pour des dieux.


 

Alexandre Sokourov filme ces derniers au travers d’une gamme variée de cadres et de mouvements d’appareil. Ces cadres alternent entre des plans amples et englobants accentuant l’aspect multiple et fragmentaire des quatre figures, et des plans serrés fragmentant l’espace et isolant les images des personnages les unes des autres. Ce faisant, l’auteur montre que chacune des représentations multiples des quatre individus correspond en réalité à une seule et même personnalité, malgré les divers postures ou costumes qu’ils ont revêtus au cours de leur existence. Est ainsi exhibée la nature artificielle et superficielle des dites postures.


 

De plus, la caractérisation de ces personnages, qui ne regrettent rien de leurs passés et sont toujours convaincus de la justesse de leur pensée, interroge sur leur iconisation par les générations actuelles et, ce faisant, de l’impact de l’idéologie dont elles sont grosses (Mussolini torse nu ne peut qu’évoquer l’actuel despote russe).


 


 

Mais si Fairytale est sombre, le cinéaste sait aussi faire preuve d’ironie, notamment lorsqu’il représente Jésus toujours en salle d’attente après 2000 ans, ou tendre, au travers de certaines images de Churchill. Un Churchill qui, s’il est placé au même niveau que Staline, Hitler ou Mussolini, ne l’est pas tant par esprit polémique que parce que face à la mort chaque individu est égal quel qu’ait été son camp, son idéologie ou son crime.


 


 

Dans la tradition de la culture russe critique de la tyrannie ou du questionnement mystique, Fairytale est un chef-d’œuvre qui fera date dans l’histoire du cinéma.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe


Fairytale (Skazka). Réal, sc : Alexandre Sokourov ; mu : Murat Kabardokov. Int : Igor Gromov, Vakhtang Kuchava, Lothar Deeg, Tim Ettelt, Fabio Mastrangelo, Alexander Sagabashi, Michael Gibson, Pascal Slivansky (Belgique-Russie, 2022, 78 mn).



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