par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°338-339, été 2011
Charles Belmont (1936-2011)
S’il n’apparaît pas au générique des Bonnes Femmes, que Chabrol tourna en 1959, les amateurs avaient cependant repéré sa silhouette et son visage, que Les Godelureaux, du même Chabrol, allaient mettre en valeur l’année suivante de façon autrement nette.
Beau jeune homme, propre sur lui, l’allure bien adaptée aux personnages de la Nouvelle Vague, Charles Belmont aurait pu continuer une carrière d’acteur bien balisée, à l’image de ses contemporains Jacques Perrin ou Sami Frey. Un passage chez Jean-Pierre Mocky, dans Les Vierges et un autre chez Henri Decoin, dans son ultime Nick Carter va tout casser (1964), et il abandonne ce côté des sunlights pour passer à la réalisation - Un fratricide, court métrage (1967) inconnu de nos services.
Il ose ensuite l’impensable, adapter L’Écume des jours. (1)
Le film fut accueilli fraîchement - Vian n’était pas encore entré dans la Pléiade, mais déjà effleuré par la gloire posthume et les vianolâtres veillaient -, à un moment (mars 1968) où le soulèvement mijotait et où la jeunesse qui aurait dû constituer le meilleur public du film commençait à fouetter d’autres chats.
Réédité fin 1994, L’Écume a montré comment les ans lui avaient profité et combien l’incarnation des héros de Vian - Sami Frey, Jacques Perrin, Marie-France Pisier - était juste.
Abandonnant la veine légère (même si le roman était une tragédie), Belmont tourne entre 1972 et 1977 les trois titres qui forment l’essentiel de sa filmographie.
* Rak, un des premiers films à traiter du cancer comme un plein sujet et non comme l’élément dramatique d’une fiction, dans lequel Lila Kedrova était éblouissante.
* Histoires d’A, coréalisé par Marielle Issartel, premier documentaire sur la liberté de l’avortement, encore taboue en 1973 (ce qui lui valut une interdiction totale (merci Maurice Druon), et des projections militantes souvent chamboulées par la police).
* Pour Clémence, premier film à prendre pour thème le chômage, problème encore exotique en 1976, ce qui explique l’échec immérité d’une œuvre prémonitoire - impossible de croire à l’époque que cette mise hors jeu du travail salarié, synonyme de temps libre et d’épanouissement, pouvait déboucher sur le suicide.
Trop en avance ?
Belmont disparut, au moins officiellement, des génériques durant vingt ans, avant de resurgir, de nouveau documentariste, avec Les Médiateurs du Pacifique, retour sur le massacre de la grotte d’Ouvéa, décidé par le gouvernement chiraquien du moment (merci Bernard Pons), qui ensanglanta la Nouvelle-Calédonie en mai 1988 (1).
Dix ans ou presque de silence plus tard, Qui de nous deux, scénarisé avec sa fille (également interprète) Salomé, montra qu’il savait toujours observer, avec le même regard attentif, l’adolescence, non plus celle, rêvée, des créatures vianesques, mais celle d’une jeune fille de son temps et de son instant.
Sorti sur peu de copies, en plein Cannes 2006, le film ne trouva pas l’audience nécessaire pour relancer l’activité du réalisateur.
La maladie s’en mêla.
Pour reproduire l’annonce reçue : "Charles a mis fin à ses jours, lucidement, pour échapper librement à un avenir terrible et inéluctable", achevant ainsi de la plus digne façon une trajectoire sans fautes.
Il était né Charles Blechmans, le 24 janvier 1936. Il est mort le 15 mai 2011.
C’était un ami.
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°338-339, été 2011
1. Jacques Prévert parle de L’Écume des jours de Belmont.
2. On découvrira bientôt L’Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz, fiction de 2011 moins convaincante que Les Médiateurs du Pacifique.