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Gran Torino (2008)
de Clint Eastwood
publié le mercredi 7 juin 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°322-323, printemps 2009

Sorties les mercredis 25 février 2009 et 7 juin 2023


 


Dans ce nouveau film où il revient comme acteur et réalisateur, Clint Eastwood peaufine son autoportrait en héros cassé par la vie mais debout, et avec quelle stature, pour une nouvelle fois mettre à nu le mythe américain. Gran Torino est encadré par deux enterrements, celui de Walt Kowalski (Clint Eastwood) à la fin, celui de sa femme au début. Entre les deux, le fils d’émigré polonais catholique prend la mesure de ce qui change dans son environnement direct et met en scène sa propre fin dans une marche vers la rédemption d’une vie qui aurait pu n’être que banale, oubliable.


 

Désormais seul dans son pavillon de banlieue ordinaire, il bichonne sa Gran Torino, modèle Ford produit entre 1968 et 1976, qu’il a construite sur les chaines du géant automobile. Sur le porche de sa maison, passant sa petite tondeuse dans son minuscule jardin, il observe, désorienté, le va-et-vient de ses voisins venus de l’Asie du Sud-Est, issu d’un peuple dont il n’arrivera jamais à prononcer le nom, les Hmong.


 

Vétéran de la guerre de Corée, il a gardé en bouche tous les noms péjoratifs destinés à désigner ces Asiatiques si difficile à comprendre, si étrangers à son système de valeurs plombées de certitudes. Mais en même temps, il rejette sa propre famille de bons Américains très middle-class qui ne songe qu’à le guider gentiment vers une de ces villes pour retraités en fin de vie au soleil de l’Arizona, en attendant le petit héritage à sa mort et le passage de la Gran Torino à la petite fille.


 

Walt en est à ce moment de la vie où désabusé, malade, il sait qu’il n’en a plus pour longtemps. Le jeune prêtre de la paroisse vient le visiter à la demande de l’épouse morte pour lui porter un soutien spirituel. Il n’y a que le coiffeur italien avec qui il peut se quereller gentiment qui trouve grâce à ses yeux.


 


 

Clint Eastwood excelle à camper ce personnage bourru, raciste, individualiste avec une délectation à jouer avec sa propre image, celle qu’il a traînée dans sa longue filmographie. L’autodérision donne lieu à de savoureux moments de comédie, en particulier dans ses rapports avec ses voisins.


 

Petit à petit, la comédie laisse la place à un propos plus grave, quand la cohabitation avec les petits gangs du quartier (blacks, hispanos, asiatiques) empiètent sur son territoire. Le fils des voisins (Tao), sous la pression de copains désœuvrés tente de voler sa Gran Torino. Sa sœur tente d’amadouer Walt. Ainsi, les rapports avec la famille des voisins prennent une autre tournure.


 


 

Une brèche s’ouvre dans l’armure des certitudes de Walt. Il prend Tao sous son aile, lui apprend à travailler de ses mains. Walt est initié à la cuisine, à la civilisation hmong. Dans sa lutte pour protéger Tao, plus tard pour venger Sue qui a été violée et laissée gravement amochée par ses agresseurs, il met en scène lui-même ce qui pourrait être un règlement de comptes classique.


 

Tant du point de vue psychologique que scénaristique, Clint Eastwood se plaît à prendre le contre-pied des règles hollywoodiennes. Même si le ton du film tourne au mélodrame dans ce qu’il a de plus fort, il y a pour lui l’importance de laisser sa trace, de donner à son personnage une dimension plus ample que celle du héros classique. La volonté de transmettre par le biais de Tao d’autres valeurs que celles que représente sa propre famille, par son ouverture à ses mystérieux voisins, Clint Eastwood se livre à une mise à plat, à une critique sans concessions de l’Amérique telle qu’il l’observe.


 

Sans concession par rapport à lui-même, ce qui donne d’autant plus de prix à son propos. Le sacrifice final peut paraître pessimiste au premier abord. Mais il le filme de manière magistrale, dans une simplicité qui ouvre les portes à une émotion pure. Et il nous laisse sur un testament qui s’apparente à une transmission à la génération qui suit, mission qu’il semble s’être fixée depuis au moins Million Dollar Baby (2004).

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°322-323, printemps 2009


Gran Torino. Réal : Clint Eastwood ; sc : Nick Schenk & Dave Johannson ; ph : Tom Stern ; mont : Joel Cox & Gary Roach ; mu : Michael Stevens & Kyle Eastwood. Int : Clint Eastwood, Ahney Her, Bee Wang, John Carroll Lynch, Doua Moua, Christopher Carley, Chee Thao (USA, 2008, 111 min).



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