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Réalité (2014)
de Quentin Dupieux
publié le mercredi 18 février 2015

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°364, hiver 2015

Sélection compétition officielle Mostra de Venise 2014

Sortie le mercredi 18 février 2015


 


Les États-Unis siéent à Quentin Dupieux.
Depuis Wrong (2011) et Wrong Cops (2013), son cinéma devient de plus en plus époustouflant.

Réalité est un chef-d’œuvre d’absurdité et de poésie qui va très loin dans l’hommage rendu au Buñuel du Charme discret de la bourgeoisie.

Mais Quentin Dupieux, également musicien, ne se contente pas de s’inspirer d’autres œuvres, il innove et de belle manière. La musique est magnifique, accentuant le mystère d’un film qui joue sur l’absurdité des rêves. Le réalisateur a choisi d’illustrer son film par un morceau de musique répétitive, les cinq premières minutes de Music With Changing Parts (1971) de Philip Glass.

Quant au film, personne ne pourra le pitcher vraiment.
Déjà, le réalisateur interprété par Alain Chabat a du mal à le faire auprès du producteur intimidant qui lui demande d’obtenir un Oscar pour son cri.


 

Quentin Dupieux se souvient peut-être de l’échec de RRRrrrr !!! (2004) et donne à Chabat l’occasion de rattraper ce cri raté en s’exerçant seul dans sa voiture. Ce cri primal qu’il doit inventer pour son film l’obsède à tel point qu’il fait fuir les patients de sa femme psychanalyste.


 

Les films de Quentin Dupieux sont hors normes, de Steak, film sur la chirurgie esthétique avec Eric et Ramzy, à Rubber (2009) qui racontait les aventures d’un pneu serial killer.
Réalité est une petite fille, interprétée par Kyla Kenedy, le seul personnage adulte et grave du film, qui trouve un jour une cassette VHS dans les entrailles du sanglier que son père vient d’abattre à la chasse.
Cette cassette ensanglantée, qu’elle ira chercher dans une poubelle parmi les viscères de l’animal, rappelle le cinéma des origines vraiment tripal, en hommage à L’Écran fantastique, mais aussi au Videodrome de David Cronenberg (1983) dans lequel l’image naît vraiment du ventre comme lors d’un accouchement.
Réalité porte mal son nom, car l’histoire d’un homme pris au piège de ses rêves va crescendo. À peine entré dans la réalité, il faut en sortir au plus vite, puisqu’il s’avère que la séquence que nous venons de voir est celle d’un rêve.

Le film réserve de multiples surprises : le réalisateur, entouré de mannequins lors de la remise des Oscars, collé sur son siège ; la salle de cinéma où il découvre le film qu’il a imaginé et pour lequel il cherche désespérément un producteur. Et des mises en abyme dans pratiquement tous les plans.


 

Sous ses dehors de série Z, le film est d’une rare profondeur, sur l’inconscient, la création artistique et la vérité. Chacune des scènes bascule du comique dans l’angoisse et le pathétique - voir ce proviseur (interprété par Eric Warehelm, un des flics de Wrong Cops) qui se travestit en femme de façon grotesque.

C’est le but, réussi, de Dupieux de rendre dérangeante une histoire de film dans le film, en déréalisant la réalité tout en donnant le nom de Réalité au film lui-même. "Mon vrai cauchemar, explique-t-il serait de faire un film qui ne plairait qu’à moi. C’est pour ça que je m’efforce toujours d’utiliser les codes de la vraie vie."
En les distordant pour les rendre absurdes, comme la vraie vie l’est souvent.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°364, hiver 2015

* Après Venise 2014, le film a aussi été sélectionné à L’Alpe d’Huez 2015 et à Gérardmer 2015.


Réalité. Réal, sc, ph, mont : Quentin Dupieux. Int : Alain Chabat, Jonathan Lambert, Élodie Bouchez, Kyla Kenedy, John Glover, Eric Warehelm (France-Belgique, 2014, 87 mn).



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