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Coup de grâce (le) (1976)
de Volker Schlöndorff
publié le mercredi 14 juin 2023

par Henry Welsh
Jeune Cinéma n°100, février 1977

Sorties les mercredis 17 novembre 1976 et 14 juin 2023


 


Dans Le Coup de grâce, Volker Schlöndorff renoue avec le style de son premier film, Les Désarrois de l’élève Toerless (1966) : même caractère intimiste, même façon de cerner les personnages et de rendre les conflits psychologiques. Mais alors que son premier film se déroulait dans le cadre de l’institution scolaire, ici, un fond de guerre des partisans larvée s’insinue dans les rapports entre les gens. Nous assistons aux derniers combats d’une armée qui s’écroule comme le monde qu’elle défendait.


 


 

En pays balte, se livrent des escarmouches entre garnisons d’occupation - ou plutôt ce qu’il en reste - et une fraction d’Armée rouge. Le théâtre des événements se situe dans une grande propriété de ces provinces dont le château sert de camp aux Allemands. Le seigneur du lieu, Conrad de Reval, revient d’une expédition avec un ami d’enfance, officier comme lui, Eric von Lhomond. La trame du film serait simple : il naît entre Eric et la sœur de Conrad, Sophie, une passion réelle mais qu’ils ne peuvent s’avouer.


 


 

D’autant qu’Eric est le type même de l’officier raide, hautain, voire cynique, et que Sophie a acquis, au milieu des atrocités de la guerre, une conscience politique qui lui fait rechercher de la littérature "subversive" auprès d’un partisan rouge du village - ce dont elle ne se cache d’ailleurs pas. Malgré cela, il ne s’agit absolument pas ici d’une histoire de cœur mélodramatique où les deux amants ne pourraient se rejoindre. L’art de Volker Schlöndorff est de nous faire la peinture de ce monde finissant par et à travers les conflits de personnes. La jalousie, l’espoir, le bonheur, autant de sentiments qui sont exprimés par les protagonistes et que le réalisateur décrit avec une précision d’entomologiste. La vie de ce microcosme nous intéresse doublement : d’abord parce que les trois personnages sont attachants dans leurs solitudes ; ensuite parce que leurs rapports avec le monde extérieur sont ceux d’une classe acculée et qui voit l’heure de sa défaite.


 


 

Et toujours en toile de fond, la réalité globale d’un combat grave qui intervient dans la réalité locale que constitue la vie au château de Kratovica. Il y a quelque chose de tragique dans la manière dont ces deux réalités s’opposent. L’effet de cette opposition s’est comme cristallisé dans la personne de Sophie - très admirable Margarethe von Trotta, sa meilleure composition - qui ne peut cacher son penchant pour Eric, et qui pour se venger de l’indifférence que celui-ci manifeste à son égard, décide de s’afficher avec un des officiers. Le soir de Noël, elle embrasse fougueusement Volkmar, un ami d’enfance d’Eric, sous ses yeux, ce qui lui vaudra une déclaration sous forme de gifle : le lendemain matin, dans une très belle scène, elle déclarera son amour à celui qu’elle aime… à travers la porte close de sa chambre.


 


 

Néanmoins ce jeu de l’amour ne peut satisfaire Sophie ; peut-être les insinuations sur les relations ambiguës entre son frère et Eric la détachent-elle totalement de lui ?


 


 

Elle s’enfuit pour rejoindre les combattants rouges. C’est sans doute le seul geste "positif" du film. Sa conversion manifeste sa radicalisation : elle ne peut couper avec l’ancien monde que brutalement, quitte à ce que cette rupture mette en jeu son amour et sa vie.

Henry Welsh
Jeune Cinéma n°100, février 1977


Le Coup de grâce (Der Fangschuss). Réal : Volker Schlöndorff ; sc : Margarethe von Trotta, Geneviève Dormann & Jutta Brückner, d’après le roman de Marguerite Yourcenar ; ph : Igor Luther ; mont : Jane Sietz ; mu : Stanley Myers. Int : Margarethe von Trotta, Matthias Habich, Rüdiger Kirschstein, Mathieu Carrière, Marc Eyraud, Valeska Gert (France-Allemagne, 1976, 97 mn).



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