Il y a une quinzaine d’années, Claire Denis rencontre l’auteur américain Denis Johnson, elle aime ce qu’il écrit et lit tous ses livres. Stars at Noon la séduit particulièrement, mais elle ressent quelques scrupules à envisager une adaptation, s’agissant de l’histoire personnelle de l’auteur durant la guerre civile au Nicaragua. Après son décès en 2017, alors qu’il l’avait autorisée à adapter son roman, elle se lance et tourne le film au Panama afin d’éviter la situation sociale tendue au Nicaragua. Stars at Noon lui vaut le Grand Prix du Festival de Cannes 2022.

Le film évoque une folle histoire d’amour dans une sombre histoire politico-médiatique, à quelques jours des élections dans un pays où les étrangers sont mal vus, la répression assez forte et les pratiques d’emprisonnement ou d’exil courantes. Trish (Margaret Qualley) jeune journaliste américaine ravissante, fauchée, sans passeport et sans carte de presse, croise au bar d’un grand hôtel un séduisant jeune homme Daniel (Joe Alwyn) qui semble être un homme d’affaires. C’est immédiat. Une attirance entre les deux personnages, un élan insatiable qui anéantit tout contrôle.

La chambre, le lit et la caméra de Claire Denis se faufile entre eux, les traque, les suit, les prolonge, elle frôle les peaux, se perd dans les gestes, le charme trouble l’image, excessif, ardent et emporté. Avant la scène, on comprend qu’elle n’hésite pas à coucher pour gagner quelques sous. Mais cet amour-là, est un désir cru, dévorant qui dure tout le film, l’enchante et l’ensorcelle à la fois. Sans doute sert-elle d’appât pour le capturer. Elle ne peut fuir, n’ayant aucun papier, ni argent, les militaires la tiennent. Lui, assez silencieux sur sa présence au Nicaragua, laisse planer le mystère. Ensemble, ils tissent un amour impossible.

L’action est parfaitement maîtrisée, que ce soit par la présence, ici ou là, d’un agent de la CIA (Benny Safdie) et autres espions, les fuites et courses poursuites dans tous les lieux de la ville, par les portes dérobées et les fonds de cour. C’est un thriller, auquel s’ajoute le romanesque. Et cet émerveillement imprévisible du jeu d’acteurs, comme si l’un et l’autre s’appelait et s’entendait jusqu’à l’ivresse des larmes. Trish le croit parti, et soudain Daniel apparaît, comme un ange. Leur présence et leur personnalité antinomiques excitent la relation amoureuse, la fascination les aveugle jusqu’à leur faire oublier toute prudence. Ils n’ont pas eu le temps de se connaître qu’ils sont déjà séparés.

Claire Denis cultive son savoir-faire, experte dans la représentation du désir et la maîtrise à diriger les acteurs, elle montre ici la générosité d’un regard dépourvu de voyeurisme et de provocation de mauvais goût, confrontant une nature exubérante à une nature humaine non moins excessive, le tout rythmé par une musique voluptueuse et languissante.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°423, été 2023

Stars at Noon. Réal : Claire Denis ; sc : C.D., Andrew Litvack & Léa Mysius, d’après le roman de Denis Johnson ; ph : Éric Gautier ; mont : Guy Lecorne ; mu : Tindersticks. Int : Margaret Qualley, Joe Alwyn, Danny Ramirez, Benny Safdie (France, 2022, 137 mn).