par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°344-345, printemps 2012
Sélection Panorama de la Berlinale 2012
Sortie le mercredi 14 juin 2023
La figure de Guy Môquet a fait l’objet d’une récupération acharnée de la part de Nicolas Sarkozy durant la première moitié de son quinquennat au point que l’historien Jean-Pierre Azéma a pu parler de "caporalisation mémorielle". Les chefs d’établissement scolaire ont été mobilisés, les enseignants sommés "d’obéir aux directives", les médias interpellés. France Télévision a produit deux films en direction de la jeunesse. Un très court métrage, en 2007 : La Lettre réalisé par François Hanss sur Guy Môquet et Odette Nilès, sa jeune amie. Et une fiction, diffusée le 21 octobre 2008, la veille de l’anniversaire de l’exécution des 27 otages de Châteaubriant : Un amour fusillé de Philippe Béranger
Volker Schlöndorff ne semble pas avoir suivi la polémique franco-française, il s’est laissé inspirer par un livre paru en 2000, Une enfance fusillée du journaliste Pierre-Louis Basse, récemment écarté d’Europe 1, dont le grand-père, militant communiste avait été détenu avec Guy Môquet. Ceux qui ont lu les mémoires de Volker Schlöndorff savent qu’il avait en outre un motif personnel : à 17 ans, il a souhaité quitter l’Allemagne et passer son bac en France. Il était interne non loin de Vannes, et c’est là qu’il a entendu parler d’un lieu de mystère et d’horreur, La Sablière, sans être plus amplement informé. "Pendant plus de cinquante ans, Guy Môquet a frappé à ma porte", a-t-il déclaré à Berlin, lors de la présentation de La Mer à l’aube. Le plus français des réalisateurs allemands se sentait investi de la mission d’évoquer cette page noire de l’histoire franco-allemande.
Au cœur du film, la dernière semaine de la vie du jeune homme - pour la première fois à l’écran, Léo Paul Salmain (1), qui a l’âge du rôle -, d’abord insouciant dans ce qui ressemble à une colonie de vacances. Puis survient l’attentat de Nantes, où des militants communistes exécutent un officier allemand, et le mécanisme des représailles se met en branle.
Plusieurs éclairages : les bureaux parisiens de l’ambassadeur Otto Abetz, du général von Stülpnagel, et de Ernst Jünger dont certaines pages du Journal ont inspiré, partiellement, le scénario ; une sous-préfecture bretonne où le fonctionnaire de l’État français obéit, nolens malens, aux "directives" et ratifie les sinistres listes ; le camp de Choisel où des militants célèbres, Charles Michels, Jean-Pierre Timbaud se trouvent aux côtés de très jeunes gens. Un autre personnage entre en scène, un jeune soldat allemand, sorti d’une nouvelle de Heinrich Böll, Das Vermächtnis, publiée en 1947 et qui est un peu le cousin germain, introverti et angoissé, de Guy Môquet.
Volker Schlöndorff s’efforce de donner une certaine épaisseur à la peinture de la société française sous l’Occupation et s’attache à montrer les tensions qui existaient dans l’état-major allemand. La scène où Jean-Pierre Daroussin, dans le rôle de l’abbé Moyon, prend congé des condamnés à mort, est d’une grande émotion.
Sur celle de l’exécution des otages dans La Sablière, répétée trois fois, on peut avoir des réserves. De même, l’apparition de Arielle Dombasle en patriote de salon aux côtés de Ulrich Matthes dans le rôle de Ernst Jünger, n’était-elle sans doute pas nécessaire. Malgré quelques fautes de goût et une tentation académique, La Mer à l’aube est de belle facture et très pédagogique. C’est donc un film utile.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°344-345, printemps 2012
1. Pour ce téléfilm, Léo-Paul Salmain a reçu le FIPA d’or du meilleur interprète masculin, au Festival international des programmes audiovisuels de Biarritz 2012. Et au Festival des créations visuelles de Luchon 2012, Volker Schlöndorff a reçu le Prix du meilleur réalisateur.
La Mer à l’aube (Das Meer am Morgen). Réal, sc : Volker Schlöndorff ; ph : Lubomir Bakchev ; mont : Susanne Hartmann ; mu : Bruno Coulais ; déc : Chloé Chambournac. Int : Léo-Paul Salmain, Marc Barbé, Arielle Dombasle, Jean-Pierre Darroussin, Ulrich Matthes, Dominique Engelhardt, Gilles Arbona (France-Allemagne, 2011, 90 min).