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Riff-Raff (1990)
de Ken Loach
publié le samedi 30 juin 2018

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°212, janvier-février 1992

Sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 1991

Sorties les mercredis 30 octobre 1991 et 3 novembre 2004


 


Après avoir, dans Hidden agenda (1990), exprimé tout ce qui lui tenait à cœur depuis si longtemps à propos de l’Irlande du Nord, Ken Loach revient sur ses terres. Le propos garde toute sa force avec, en plus, un humour caustique qu’on ne lui connaissait pas jusqu’ici. Du coup, Riff-Raff devient une sorte de pamphlet au vitriol sur l’Angleterre soumise à la coupe conservatrice depuis plus de dix ans. En inscrivant l’histoire sur un chantier de rénovation visant à transformer un ancien hôpital en appartements de luxe, il rassemble, en un petit groupe de personnages, les ingrédients qui lui permettent de balayer les maux qui rongent l’Angleterre d’aujourd’hui.


 


 

Tout commence de façon très réaliste comme c’est la coutume chez lui. Les ouvriers venus des bureaux de chômage arrivent sur ce chantier où règnent de petits contremaîtres méprisants qui ont pour mission de faire travailler tout ce petit monde au plus bas prix, sans se soucier des règles de sécurité et encore moins de la législation sociale. Quand un pays dispose d’un volant de main d’œuvre corvéable à merci, tout devient possible. On retrouve donc des immigrés, d’anciens ouvriers victimes des licenciements, un jeune Écossais qui a, de toute évidence, quelque chose à cacher. Ce Stevie débarqué à Londres n’a pas d’endroit pour dormir, aussi ses copains du chantier lui trouvent-ils un squat dans lequel ils l’aident à s’installer. En rapportant un sac trouvé dans la rue, il tombe sur une jeune fille un peu bizarre, Susan, qui ambitionne de devenir chanteuse. Ils se mettent vite en couple. Sur le chantier, les ouvriers compensent les sordides conditions de travail par le recours à l’humour et à la solidarité des petits gestes. Aucun n’a vraiment la fibre contestataire. Ils sont tous tellement marginalisés qu’ils ont oublié ce qu’est un syndicat. Sauf un, un bon vieux gros qui garde encore la mémoire des luttes, de ce qu’est une classe sociale, mais dont les autres se moquent gentiment.


 


 

Sur cette double ligne de récit, le couple et le groupe d’ouvriers, Ken Loach construit avec une aisance stupéfiante l’édifice de sa critique de l’Angleterre qu’il a sous les yeux. C’est un regard en apparence amusé. Les scènes de pure comédie abondent : l’enterrement de la mère de Stevie en Écosse, les visiteurs étrangers de l’appartement modèle qui découvrent le gros ouvrier nu dans la baignoire, les tests de jeunes chanteuses. Mais ces moments drôles ne font jamais oublier le tragique du quotidien : le renvoi de l’ouvrier conscient dès le premier mouvement de contestation, la mort d’un immigré due à l’absence de sécurité sur le chantier, le retour de Susan à la drogue. Et puis, il y a les rats qui hantent ce chantier et qui condensent tellement ce qu’est devenue l’Angleterre qu’on serait tenté d’y voir un symbole. Ce recours à l’humour devient chez Ken Loach une nouvelle manière de regarder le monde autour de lui, regard d’autant plus éclairant que, comme à son habitude, il a recours à des acteurs inconnus qui collent au plus près au quotidien, et qui, par la fraîcheur de leur jeu, font passer à merveille les subtilités de la critique. Car, si jamais le propos ne prend un tour démonstratif, il n’en reste pas moins vrai que la rage irrigue l’observation amusée de ce petit monde. La révolte finale nous libère de ce haut-le-cœur qu’on éprouve malgré les rires et les sourires que font naître certaines situations.


 


 

Et puis, on retrouve à travers les personnages de Stevie et Susan ces figures de jeunes en butte à une société qui les rejette et qui peuplent tous ses films. Rarement un cinéaste a aussi bien capté ce mal-vivre ancré dans les crises de notre société et cette énergie qui les pousse à se battre contre elle avec des armes trop inégales pour qu’ils puissent en sortir indemnes. C’est pourquoi Riff-Raff laisse un goût amer au fond de la bouche. Comme toujours dans les films de Ken Loach, on ressort avec les yeux un peu plus ouverts. Quand d’autres s’échappent pour ne plus regarder le monde en face, il prend ce monde à bras-le-corps avec la délicatesse qui lui sied si bien lorsqu’il filme les faibles et la vigueur qu’il maîtrise de mieux en mieux pour dénoncer ce qu’il ne peut supporter. Exemple rare d’un cinéaste immergé dans son temps et dont le regard ne semble pas devoir s’émousser.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°212, janvier-février 1992


Riff-Raff. Réal : Ken Loach ; sc : Bill Jesse ; ph : Barry Acicroyd ; mont : Jonathan Morris ; mu : Steward Copeland ; déc : Martin Johnson ; cost : Wendy Knowles. Int : Robert Carlyle, Peter Mullan Willie Ross Emer McCourt, Ricky Tomlinson, Jimmy Coleman, George Moss, David Finch, Richard Belgrave (Grande-Bretagne, 1990, 95 mn).



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