Finalement en compétition officielle au Festival de Cannes 2023, le film en est revenu bredouille et le pataquès médiatique et moraliste qui a précédé sa sélection n’y est sans doute pas étranger. Finalement, ce film tant attendu sort enfin et il aurait mérité au moins une récompense tant il est puissant et maîtrisé. Mais que devient le cinéma depuis que la carrière d’un ou d’une cinéaste repose sur sa réputation et sur les présomptions de culpabilité qui reposent sur lui ou sur elle ? Ici c’est encore le cas, et pourtant Catherine Corsini nous offre son plus beau film, tourné avec une caméra vibrante à la manière de Abdellatif Kechiche et sous la lumière corse qui déchire et embellit.

Mention spéciale à ses quatre actrices principales, notamment Aïssatou Diallo Sagna que Catherine Corsini avait découverte dans La Fracture (2021), et qui y incarnait le rôle de l’aide soignante. Elle a écrit ce film pour elle et l’a entourée de trois autres magnifiques actrices : Suzy Bemba et Esther Gohourou - talent découvert dans le film Mignonnes de Maïmouna Doucouré (2020) - dans les rôles de ses deux filles, et Lomane de Dietrich, jeune actrice dénichée au Conservatoire et qui a peu tourné. Elles crèvent l’écran toutes les quatre. Il faut leur ajouter bien sûr Virginie Ledoyen et Denis Podalydès dans le rôle des parents, et bien sûr Harold Orsoni, qui est le fils de Julie Allione, la directrice du casting du film. Il vit à Paris mais il est corse, d’où son accent. "Je l’avais vu travailler dans le restaurant de son village, en Haute-Corse, j’ai écrit le personnage d’Orso en pensant à lui", précise la réalisatrice.

Le titre de ce film haut en couleurs est à lui seul un résumé. Une mère revient en Corse, avec ses deux filles, bien des années après un drame qui les avait forcées à quitter l’île, là où elle a aimé un homme maintenant disparu. Ce séjour va leur permettre de s’incarner dans cette île mystérieuse et difficile d’accès, et de dénouer les fils du malheur. Mais ce retour parvient à remettre en cause même l’amour pour sa fille qui commence Science-Po et s’éloigne inexorablement de sa classe sociale d’origine. "La mère et la fille se retrouvent dans deux positions sociales différentes, déclare Catherine Corsini. J’ai tenu à monter la prise où elles se regardent et où l’on ne sait pas ce qu’il va advenir. Jessica, à ce moment précis, s’interroge quant au fait de devenir une transfuge de classe, d’appartenir à la classe dirigeante qui la fascine et où ses études à Sciences-Po ont des chances de la conduire. Elle a aussi conscience d’être l’objet de Gaïa et se sent prisonnière. Je crois qu’à cet instant-là, elle rejoue ce que sa mère a vécu. Ce retour à la famille est aussi un retour à leur liberté, à leur revendication".

Le Retour est aussi un film avec un accent, celui des habitants de la Corse, si mélodieux et étrange, mais aussi celui des gosses des banlieues parisiennes, et ceux enfin de la bonne bourgeoisie du Quartier latin. Bref un melting-pot qui raconte des amours naissantes et revient sur des amours mortes. Vraiment un film magnifique qui sait embellir à la fois la Corse, pays de la réalisatrice, mais surtout ses paysages et son mystère grâce à la directrice de la photographie, Jeanne Lapoirie. "Elle et moi avons fait les repérages ensemble, bien en amont. Je l’ai amenée dans mon village, où j’observais les réactions de chaque personne de l’équipe. Jeanne a tout de suite été enthousiaste, elle a aimé la rudesse des montagnes, le soleil implacable. Certains décors, du fait de la lumière changeante, exigeaient que nous tournions dans une relative urgence. On grimpait sur les rochers pour attraper la bonne lumière. Jeanne et moi, nous étions en symbiose et n’avions pas besoin de beaucoup nous parler".

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Le Retour. Réal : Catherine Corsini ; sc : C.C. & Naïla Guiguet ; ph : Jeanne Lapoirie ; mont : Frédéric Baillehaiche ; déc : Louise le Bouc Berger. Int : Aïssatou Diallo Sagna, Suzy Bemba, Esther Gohourou, Cédric Appietto, Harold Orsoni, Virginie Ledoyen, Denis Podalydès, Marie-Ange Géronimi, Lomane de Dietrich, Jean Michelangeli (France, 2022, 110 mn)