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Idiots (les) (1998)
de Lars von Trier
publié le mercredi 12 juillet 2023

par Hélène Romano
Jeune Cinéma n°250, été 1998

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1998

Sorties le samedi 21 mai 1988 et le mercredi 12 juillet 2023


 


On sait que Lars von Trier est à tous égards un personnage surprenant. Comme cinéaste, c’est aussi l’un des plus novateurs, dans la mesure où il réinvente pour chaque film un rythme, une manière de filmer : voir l’extraordinaire polar Element of Crime (1984), le très controversé Europa (1991), Breaking the Waves (1996) qui frisa un prix à Cannes, sans oublier L’Hôpital (1994-1997), téléfilm-fleuve sur le grand hôpital de Copenhague, dont l’atmosphère étrange confond malades et médecins (1). On est donc un peu surpris par les consignes, en 1995, du groupe Dogma 2 (2), dont il est l’un des fondateurs, qui préconise le bannissement du tournage en studio, l’abandon de tout effet artificiel par filtre ou trucage, etc. Il s’agit d’une rupture totale avec sa démarche antérieure, les recherches d’effets de lumière et de bande-son qui ponctuaient ses œuvres précédentes. C’est sans aucun doute une étape dans sa réflexion sur sa propre créativité et une remise en question.


 


 

Il revient cette année avec un film qui semble bien un pied-de-nez à la société, Les Idiots, ou comment une bande d’amis décide de jouer les fous pour renverser l’ordre des gens"normaux". Il y a quelques scènes amusantes, comme celle du restaurant, où Stoffer et Karen, deux membres du groupe, jouent parfaitement le duo du malade mental et de l’infirmière devant des clients atterrés et un maître d’hôtel dans le désarroi total. Mais d’autres le sont moins : la scène de la piscine est grinçante, celle de la visite de l’usine également, le faux paralysé dans sa chaise roulante pose problème - jusqu’où le jeu peut-il conduire, même s’il est considéré comme un moyen de subversion des codes sociaux ?


 


 

La question est là, présente tout au long du film, dans la personne de cette jeune femme que Stoffer a agrippée au restaurant et a entraînée dans leur folle expérience. Elle assiste, silencieuse, à tous leurs débats - et aussi à leurs ébats lors de leur grande scène de défoulement sexuel dans le jardin - comme en retrait d’une situation qui l’intrigue.


 


 

On comprend pourquoi, lorsque Karen l’accompagne dans sa famille, où elle doit jouer une scène de débilité : le drame de la jeune femme dépasse de si loin toutes les expérimentations que le jeu dérape. La dérision n’a plus de place, elle se retourne contre ses auteurs. Effet de retournement magistral qui montre encore une fois la dimension de Lars von Trier.

Hélène Romano
Jeune Cinéma n°250, été 1998

1. L’Hôpital et ses fantômes (Riget) est une série en 13 épisodes (1994-1997), créée par Lars von Trier, diffusée en France sur Arte et sur Canal+.

2. "Dogma 95. Un manifeste, "Vœu de chasteté", dix règles et quatre films", Jeune Cinéma n°259, janvier 2000.


Les Idiots (Idioterne). Réal, sc : Lars von Trier ; ph : L.vT., Kristoffer Nyholm, Jesper Jargil & Casper Holm ; mont : Molly Malene Stensgaard ; mu : Kim Kristensen. Int : Bodil Jorgensen, Jens Albinus, Annelouise Hassing, Troels Lyby, Nikolaj Lie Kaas (Danemark, 1998, 117 mn).



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