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Memento (2000)
de Christopher Nolan
publié le mercredi 12 juillet 2023

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°264, octobre 2000

Sélection officielle de la Mostra de Venise 2000

Sorties les mercredis 11 octobre 2000 et 12 juillet 2023


 


Memento est un film noir qui échappe aux motifs du genre par une déconstruction totalement inédite, et dont le sujet - la quête par un mari de l’assassin de sa femme - se transforme au fur et à mesure qu’avance une décevante élucidation du mystère. Un générique insolite effeuille comme les pages d’un carnet un ensemble de photos difficilement lisibles, jusqu’à l’effacement total. Puis, en rafales d’images, de sons, la violence sanglante d’un meurtre.


 


 

Léonard, le mari en proie au besoin de savoir et de se venger, est, depuis le crime, affecté d’une amnésie partielle. Chaque événement vécu disparaît au bout de vingt minutes. Reste le passé d’avant le choc, traité en noir et blanc, et l’urgence de la quête. Pour pallier son handicap, il saisit au polaroïd ses interlocuteurs, un fragment de pièce ou de rue, note une phrase entendue, qu’on voit par la suite tatouée sur sa peau.


 


 

Nous, spectateurs, gardons en mémoire les événements, mais le quart d’heure accordé dans la fiction est réduit à une ou deux minutes pour notre perception, rendue difficile par la fragmentation du film, et surtout recouverte par les traces que fixent photos et écriture, exactement comme nos souvenirs du réel sont remplacés par les photos qui n’en restituent qu’un instant. Nous voici comme devant la paroi où Léonard cloue les lambeaux arrachés à l’effacement. Nous voyons des lieux, un pan de mur avec une adresse, une chambre sordide, le comptoir d’un bar allumé, un portier douteux devant le tableau des clefs, les visages de deux étrangers, Nathalie, belle et sensible, Teddy, bon enfant et moustachu.


 


 


 

Visages et amorces de gestes restent indéchiffrables, comme ceux entr’aperçus dans le métro ou sur une affiche annonçant un film. À les lire comme on regarde un paysage, on reçoit une impression de gentillesse, de bonhomie vite corrigée par notre connaissance des rôles dans le film noir - les garces y semblent ingénues, les espions, flics, meurtriers en puissance, pourraient être des amis. La quasi-perfection du récit tient à ce que la déconstruction est non seulement celle de l’auteur, comme Alain Resnais dans L’Année dernière à Marienbad (1961) ou Agnès Varda dans Les Créatures (1966), mais celle du personnage et de son handicap.


 


 


 

En inventant l’inverse des amnésies reconnues, l’histoire ne retrouve pas l’itinéraire des films freudiens où l’occultation du passé ne joue que sur un élément vécu dans l’enfance, ni les tables rases des voyageurs sans bagages qui décident de larguer leur identité pour repartir de zéro. Ici, personnages et spectateurs sont capables de reconstituer un espace, mais jamais un temps où l’avant et l’après, les causes et les conséquences donneraient un sens. Les quelques indices restent ténus : une couleur de voiture changée, l’élégance d’un costume porté dans une chambre sordide, une trace de blessure disparue dans le plan suivant qui signale un rapport au temps. Mais les hypothèses s’annulent au cours du film. Quand Léonard note sous la photo de Teddy "ne pas croire, il ment ", nous identifions plus loin l’annonciateur de l’avertissement, une Nathalie dont nous ignorons, comme Léonard, l’identité et le rôle, et nous sommes renvoyés au célèbre sophisme d’Épiménide disant que les Crétois sont menteurs, or Épiménide est crétois...


 

Christopher Nolan, dans un texte de présentation, dit que le film est à voir trois fois, et que chaque séquence nouvelle nous prive d’un repère. Quant à nous, lorsque approche l’épisode final, nous découvrons, en même temps que Léonard, que l’objet de l’enquête, c’est lui-même, un homme qui fuit et qui se voit rendre son identité.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 264, octobre 2000


Memento. Réal, sc : Christopher Nolan ; C.N. & Jonathan Nolan d’après sa nouvelle Memento mori ; ph : Wally Pfister ; mont : Dody Dom ; mu : David Julyan ; déc : Patti Podesta ; cost : Cindy Evans. Int : Guy Pearce, Carrie Ann Moss, Joe Pantaliano, Mark Boone Junior, Jorja Fox, Stephen Tobolowsky, Harriet Sansom Harris, Callum Keith Rennie, Larry Holden (USA, 2000, 114 mn).



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