Voici le trentième film du réalisateur le plus prolifique de l’Asie orientale. Son art est maintenant à son sommet, et De nos jours est un régal, à la manière de différents haïkus qui traiteraient, entre autres, de la vie, de son mystère, de l’alcool et de la poésie. Depuis Le Jour où le cochon est tombé dans le puits, (1996), son premier titre, l’illusion de la familiarité côtoie, dans ses films d’une grande sophistication, la sensation du réalisme le plus précis, allié à une approche conceptuelle du récit et du temps cinématographique.

On a pu dire et écrire que Hong Sangsoo faisait preuve d’authenticité et d’une sorte d’intellectualisme extrêmement fertile. Ici, la vie palpite à même une description presque impressionniste du quotidien : un chat disparaît puis est retrouvé, une jeune fille veut devenir comédienne, un poète solitaire est interviewé, une guitare est offerte. Tout dans ce film contemplatif semble presque inutile et vain, comme des mots qu’un poète écrirait sur une feuille avant que le vent ne l’emporte. Mais c’est cette vanité qui en fait tout le sel, à l’image de notre vie infime, inutile mais précieuse et unique à la fois.

Hong Sang-soo souffre en ce moment de la vue. C’est un handicap pour un cinéaste, mais cela ne se voit pas dans ce film, né de la contemplation des deux acteurs qui l’ont inspiré, Gi Ju-bong et Kim Minhee. Le cinéaste les a choisis sans savoir trop pourquoi. Kim Minhee lui a envoyé une photo qu’il a conservée sur son téléphone portable. Puis, plus tard, il l’a lui-même pris en photo, et les deux se sont retrouvés l’un après l’autre dans la galerie de son téléphone. "Ils étaient tous les deux habillés en blanc, c’est peut-être ça le point de départ du film", déclare-t-il.

Comment naît un film, comment l’idée en vient-elle à l’esprit du cinéaste ? C’est la question que pose De nos jours. C’est un film qui semble couler de source à la vision, et qui reste présent à l’esprit très longtemps ensuite, comme un poème. Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que le cinéma ? Et la poésie ? Et la musique ? Le tout orchestré autour de nombreuses bouteilles de soju (le plus vieil alcool du monde) pour un poète qui ne devrait plus boire d’alcool, et du jeu de chi-fou-mi (pierre-feuille-ciseau) qu’on n’a jamais si bien mis en scène.

On n’oubliera pas facilement ce film, sa beauté calme et faussement sereine, notamment la scène finale sur le balcon qui donne sur un paysage urbain pas particulièrement pittoresque, mais qui entre fortement dans notre imaginaire. Un des plus beaux films de Hong Sangsoo, auteur s’il en est, puisqu’il signe tout - production, scénario, photo, montage, réalisation et musique.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

De nos jours (In Our Day). Réal, sc, ph, mont, mu : Hong Sang-soo. Int : Gi Ju-bong, Kim Min-hee, Song Sun-mi (Corée, 2023, 84 mn).