par Heike Hurst
Jeune Cinéma n°310-311, été 2007
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2007
Prix du Jury
Sorties les mercredis 27 juin 2007 et 26 juillet 2023
Une bande dessinée magnifique s’est muée en film superbe : les quatre tomes d’histoires dessinées en un noir et blanc saisissant (1) prennent vie à l’écran et nous enchantent. Les voix surtout. Danièle Darrieux est la grand-mère, la personne la plus importante dans la vie de Marjane enfant, adolescente et la Marjane, adulte.
Les parents sont les parents, Catherine Deneuve, la voix de sa mère et Simon Abkarian, le père. Il y a l’oncle et d’autres personnages qui comptent, des personnes aimées par elle, mais c’est la grand-mère qui est sa confidente et son parfum de vie nécessaire. Elle a des idées drôles et parle un langage clair, cru même et cela ne concerne pas seulement la politique : pour sentir bon, elle met des pétales de fleurs de jasmin dans son soutien-gorge. Quand elle l’enlève, les pétales tombent, mais le parfum reste. À Marjane, elle dit : "Dans la vie, tu rencontreras beaucoup de cons. S’ils te blessent, dis-toi que c’est la bêtise qui les pousse à te faire du mal. Ca t’évitera de répondre… Il n’y a rien de pire au monde que l’amertume et la vengeance. Reste toujours digne et intègre…".
Ces paroles ont leur impact sur la petite fille, font leur chemin et deviennent dans leur simplicité et leur exigence un vrai modèle de vie pour la femme désormais accomplie. Toutes ces voix rendent l’histoire de l’Iran contemporain très proche : le Chah qui persécute l’opposition, donc les militants de sa famille, les ayatollah et leurs mercenaires qui persécutent tout le monde, toujours à l’affût de l’infraction au bon ordre "de la terreur islamiste", toutes ces notions abstraites prennent les couleurs de la vie, de rires et de larmes, même si le dessin reste essentiellement en noir et blanc.
Quelques taches de couleur suggèrent des espoirs qui s’envolent. Le pouvoir islamique va se rendre coupable de la mort d’amis, de l’enfermement de plein d’autres, donc Marjane va finir par fuir la prison iranienne symbolique et réelle, car cette "vie programmée" à l’opposé de ses rêves, tente de l’anéantir et finit par la déprimer. Elle part pour Paris, dessine et écrit.
Ce film-BD est un plaisir exigeant : un programme intense de déniaisement politique et amoureux.
Heike Hurst
Jeune Cinéma n°310-311, été 2007
1. La bande dessinée de Marjane Satrapi, Persépolis, est parue à Paris, aux Éditions l’Association en quatre volumes entre 2000 et 2003. En 2007, est parue une Intégrale regroupant les quatre volumes (365 p.).
Persépolis. Réal : Marjane Satrapi & Vincent Paronnaud ; sc : d’après la BD de M.S. ; anim : Marc Jousset & Christian Desmares ; déc : Marisa Musy ; mont : Stéphane Roche ; mu : Olivier Bernet. Voix : Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Danielle Darrieux, Simon Abkarian, François Jerosme (France, 2007, 95 mn).