Berlin, 8-18 février 2007, 57e édition
Forum, Cinéma allemand et Berlinale Special
par Heike Hurst et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°308-309, printemps 2007
Au Forum, figurait Nachmittag, le nouveau film de Angela Schanelec (réalisatrice de Marseille). La réalisatrice-actrice joue un rôle qui lui ressemble. Dans une longue séquence, elle conte les sensations éprouvées, le ressenti de la maternité fusionnelle, joyeuse, voluptueuse et solitaire à la fois.
Fay Grim de Hal Hartley, met aussi une jeune mère en scène. Elle est embrigadée contre sa volonté dans une sorte d’anti-Good Shepherd, autour de livres négociés comme de la drogue ou des armes, où la CIA fait pauvre figure. Les vrais vainqueurs sont les gamins qui connaissent leurs ordinateurs et qui savent déchiffrer des énigmes, repérer des objets transitionnels.
Dans ce cinéma qui distancie avec humour, il y avait aussi Dol de Hiner Saleem qui conte l’errance des Kurdes d’Iran et des Kurdes d’Iraq dans une région frontalière de la Turquie où tous accomplissent le dessein absurde de leurs existences.
Dans cet "Absurdistan" à la veine déjantée et critique, il faut inscrire Jagdhunde de Ann-Kristin Reyels, une révélation.
Ce premier film, enraciné dans l’Uckermark, enchante par son humour, sa tranquille assurance d’oser un plan-séquence avec des grand-mères en tablier qui s’amusent en jouant au ping-pong, ou les êtres qui poursuivent toutes ces chimères qui habitent encore nos cerveaux télélavés, c’est réjouissant… et l’assurance que la relève, au moins pour le cinéma allemand, est là.
H.H.
Après-midi (Nachmittag) de Angela Schalenec (2007) Forum
Après Marseille, Angela Schanelec continue à creuser son sillon très singulier et de plus en plus minimaliste. Nachmittag, d’après Tchekhov, culmine dans un plan-séquence où Schanelec (comédienne dans le film) raconte le bonheur d’avoir fait des kilomètres avec son enfant dans un sac kangourou, l’amour et la joie qu’elle éprouvait à trimballer son gamin dans tous les parcs de la ville de Paris où elle avait été invitée pour parler de ses films et de sa conception du cinéma.
Cette séquence est un long plan fixe, une merveille de précision et de finesse, qui arrive presque à la fin du film.
Cela sera la marque de la dramaturgie Schanelequienne.
Dans le dernier quart d’heure de Marseille, il se passe plus de choses que dans le reste du film. Et ces choses, que d’autres montreraient pour satisfaire le goût du sensationnel, Schanelec les laisse hors champ.
De la même manière, Nachmittag raconte une après-midi, l’été, en villégiature en lisière de la ville. Il fait chaud, personne n’est particulièrement porté sur la conversation, mais beaucoup de choses se disent, souvent sans égard pour l’autre. Un cinéma brut, direct, où rien n’est adouci par un bruit d’ambiance ou une musique et rien n’est jamais illustré. Les relations humaines sont tranchées au bistouri du plan et du cadre.
Tout est mis en scène comme si c’était la dernière après-midi où il y aurait eu encore une sorte de vie reliée à l’espoir et à l’illusion de l’existence d’une famille. (Allemagne)
Chiens de chasse (Jagdhunde) de Ann-Kristin Reyels (2007) Forum
Ce premier film d’une très jeune femme est une merveille.
Aussi drôle que Schultze Get the Blues avec cet humour qui se pointe dans le coin d’une bouche, hors champ ou dans un plan où l’on se met à chercher ce qu’il y avait à voir.
Le film se passe dans l’Uckermarck, région campagnarde triste et sinistrée à l’est des grandes villes où seul le documentariste Volker Koepp sait dénicher des êtres humains, des personnes, prêtes à lui parler. Le film d’Ann-Kristin Reyels tient sur la contradiction féconde de filmer des gens qui s’installent là où tout le monde ne pense qu’à s’en aller. Et c’est sur ce mouvement d’un va-et-vient que le film se met en route et tient la distance.
Le fils doit rejoindre sa mère en ville. Détourné de cette destination par des événements apparemment sans importance, il découvre des gens, (scène extraordinaire des grands-mères en tabliers qui tournent autour d’une table de ping-pong sans rater une seule balle et en s’amusant un maximum), s’attache à une fille (elle aussi vit seule avec son père) et ne veut plus s’en aller, car pour quoi faire ? Tendresse et humour, des répliques qui font tilt.
Un film calme qui ne tombe pas dans les travers des nouveaux "Heimatfilme", Jagdhunde rend heureux et transpire la sérénité. (Allemagne)
Il était une fois en Arménie (La masseria delle allodole) de Paolo & Vittorio Taviani (2007) Berlinale Special
Le dernier film des frères Taviani, inspiré par un roman d’Antonia Arslan consacré au génocide arménien, est un film presque calligraphié, entrecroisant une multitude de personnages Turcs et Arméniens.
Ce n’est pas un document historique, mais la vie d’une famille, riche, nombreuse, aimant les fêtes et les plaisirs.
Avec le déclenchement du massacre en 1915, l’extermination des mâles, la déportation des femmes, les auteurs donnent au spectateur une représentation de la cruauté inédite dans l’histoire du cinéma.
L’exposition décrit la vie de la famille Arakian et ses trois générations : le vieil Aram et sa femme exubérante. Ils attendent le retour de leur fils bloqué en Italie et Nunik a une relation secrète avec un officier turc. De petites filles s’amusent à habiller leur cousin Avatis avec leurs robes. On fête l’installation de la ferme, on danse à l’ancienne, Arméniens et Turcs confondus.
À partir de là, les Taviani jouent la fragmentation : pas de suspense, tout est au présent.
L’irruption des soldats est en instantané : tous les mâles, jusqu’aux bébés, sont tués. Aram est laissé mourant et achevé par son ami turc. La mort est déjà libératrice.
Dans un second temps, les grands espaces et les longues séquences : les femmes déportées et affamées, violées et humiliées. Nunik va s’offrir à un Turc, Youssouf, contre un morceau de pain : en silence il la recouvre, la nourrit, et lui promet de la tuer si elle livrée aux tortures.
Un temps suspendu : ils sont amants, Nazim, un ami des Avakian qui les avait trahis, vient sauver les enfants (que l’on retrouvera plus tard en Italie). Nunik chante une complainte arménienne pour détourner l’attention des gardiens. Youssouf tient sa promesse et brandit son sabre. (Italie-Bulgarie-France)
Mon Führer : la vérité vraiment la plus véritable à propos d’Adolf Hitler (Mein Führer - Die wirklich wahrste Wahreit über Adolf Hitler) de Dani Levy (2007) (Cinéma allemand)
Un récit hilarant, un portrait grotesque d’Hitler : le Führer est déprimé, pour le requinquer, Goebbels extrait d’un camp de concentration un acteur juif, qui jadis lui donna des cours de théâtre.
Nul emprunt au Dictateur de Chaplin ni à d’autres films sur le nazisme.
Dani Levy entremêle deux genres : Hitler est une esquisse burlesque, Adolf Grünbaum, l’acteur juif, un personnage complet.
Autour des deux Adolf, des caricatures : Himmler, Speer, Bormann, etc.
Nous sommes en 1944, Hitler se cache, Goebbels, intelligent, cultivé et fin, va jouer en solitaire sa partie. Il accepte les conditions de Grünbaum - libérer sa famille, lui donner toute liberté d’action, et le vêtir correctement - qui va effectuer un traitement efficace, à base d’exercices respiratoires, d’un bon équilibre. Hitler revient à la vie et devient presque sympathique. Grünbaum est partagé, son fils a honte de son comportement, alors qu’il devrait tuer son client.
Le public s’est partagé, certains spectateurs ont contesté, d’autres ont acclamé et apprécié ce que la tradition juive appelle "galgen humor" (le rire sous l’échafaud).
L’interprète de l’autre Adolf est Ulrich Mühe, le policier de La Vie des autres.
Heike Hurst et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°308-309, printemps 2007