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Raining Stones (1993)
de Ken Loach
publié le dimanche 13 août 2017

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°224, octobre 1993

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1993
Prix du Jury

Sortie le mercredi 6 octobre 1993


 


Après l’ingestion de tant de films français ni faits ni à faire - au choix : Métisse, Fausto, Poisson-lune (1) - devant lesquels on se retrouve sans rien éprouver, sinon regarder discrètement sa montre en calculant le nombre de pages qu’on aurait pu lire pendant la même période, Raining Stones nous réapprend la saveur de la dégustation. Il existe donc encore des films comme on peut en rêver, plein de hargne et de tendresse. Des films d’éveil, qui ne trompent pas leur monde en maquillant à la louche une imagerie d’Épinal ouvriériste, mais qui parlent d’ici et de maintenant. On n’a rien contre la fresque historique, et Potemkine nous émerveillera longtemps même si les soviets sont passés de mode, mais entre une grande machine qui régurgite ses millions pour produire une taupinière, et un film tourné en 16 mm, la caméra à hauteur de personnages qui nous habitent encore trois semaines après la projection, chose bien rare désormais, le choix est vite effectué.


 


 

Ken Loach n’est pas une découverte. Il fait même partie du petit nombre d’auteurs qui ne nous ont jamais déçus. Depuis bientôt trente ans, il arpente les mêmes districts, dénonce la même réalité, enfonce les mêmes clous, avec une persévérance qui nous ravit. Et si les clous ont encore besoin d’être enfoncés, ce n’est pas parce que son cinéma est inefficace, mais parce que le combat n’est jamais achevé, et l’Histoire toujours pas finie, quoiqu’en aient dit Francis Fukuyama et ses apôtres. Raining Stones complète le travelling latéral qui, depuis Cathy come Home (1966) accompagne l’Angleterre dans sa déréliction. Ken Loach n’a jamais été un marchand d’illusions, mais les situations les plus sinistres qu’il nous montrait conservaient une perspective d’échappée, même sous forme de fuite en avant, comme l’engagement en Irlande de Looks and Smiles (1981). Plus d’espoir ici : le chômeur quadragénaire, englué dans une misère décente, des petits boulots de plus en plus tordus et des dettes étranglantes, se retrouve à l’échéance encore plus démuni, accablé en outre d’une culpabilité écrasante pour un catholique pratiquant tel que lui, même s’il n’a pas vraiment tué de sa main l’usurier qui le terrorisait.


 


 


 

On pouvait, à la lecture de l’argument, craindre le misérabilisme, ou l’hagiographie d’un saint prolétarien noyé dans les eaux glacées du postthatchérisme. Rien de tel. Le trait est précis, l’attaque juste. Ken Loach est resté un homme en colère qui sait toujours atteindre les cibles choisies. Ni prêche, ni discours, mais trois plans - une cage d’escalier bouffée par les tags, un carrefour où s’invective un couple de jeunes drogués, une permanence de militants associatifs - suffisent à décrire un territoire. Territoire traversé par tous les souffles de la détresse - même s’il s’agit d’une banlieue de Manchester, rien ne la différencie de Montfermeil ou des Minguettes -, où la solidarité joue encore à plein : pas de méchants ici, excepté le truand brutal qui rachète les dettes de la communauté.


 


 

D’où l’impression positive qui prime, malgré tout : ce n’est pas la résignation qui s’affiche, mais la dignité. Une dignité revendiquée résolument, et qui tient dans la volonté du héros de ne pas sombrer, en offrant, contre toutes raisons économiques, une robe de communiante à sa fille. Pris à la lettre, le prétexte semblerait répulsif, si, bien au-delà du paraître, il ne s’agissait pour lui d’affirmer sa survie morale, de certifier que le fond ne sera jamais vraiment atteint.


 


 

Comme à son habitude, Ken Loach a déniché des comédiens inconnus et admirables qui se glissent dans leur personnage en leur offrant une telle épaisseur immédiate de vécu - l’anti-Germinal - qu’on ne se pose pas une seconde la question de leur crédibilité. Dans ce cinéma du plain-pied chaleureux, il est depuis longtemps passé maître. Ainsi, même si la crise paraît sans solution - "Y a-t-il encore une alternative socialiste ?" demande une affiche -, s’il pleut des cailloux sept jours par semaine sur la tête des ouvriers, Raining Stones est un film revigorant, par la tendresse qui le parcourt, la connivence qui l’anime. Toute revendication d’exception culturelle abandonnée, on rêve d’un cinéma hexagonal qui frapperait aussi juste avec autant d’intelligence. Allons, comme disait Donatien-Alphonse-François, "Français, encore un effort...".

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°224, octobre 1993

1. Métisse de Mathieu Kassovitz (1993) ; Fausto de Rémy Duchemin (1993) ; Poisson-lune de Bertrand Van Effenterre (1993).


Raining Stones. Réal. : Ken Loach ; sc. : Jim Allen ; ph : Barry Ackroyd ; mont : Jonathan Morris ; mu : Stewart Copeland ; déc : Martin Johnson ; cost : Anne Sinclair. Int : Bruce Jones, Julie Brown, Ricky Tomlinson, Tom Hickey, Karen Hanthorn (Grande-Bretagne, 1993, 90 mn).



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