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Bête dans la jungle (la) (2023)
de Patric Chiha
publié le mercredi 16 août 2023

par Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle Panorama de la Berlinale 2023

Sortie le mercredi 16 août 2023


 


Adapté librement d’un nouvelle de Henry James parue en 1904, La Bête dans la jungle nous transporte dans un Paris nocturne et stylisé, en un huis clos répété dans la même boîte de nuit, entre 1979 et 2004. Cette situation temporelle et cette durée de vingt-cinq ans ont leur importance, entre le disco et la techno, entre la fin des Trente Glorieuses et le monde d’après le 11 septembre 2001, entre l’insouciance, l’apparition du sida et l’hécatombe qui suivit dans les milieux de la nuit. C’est aussi la durée d’une génération, celle née au milieu des années cinquante, trop jeune pour participer au climax des années soixante, trop vieille pour faire partie des milléniaux, plus encore éloignée des générations X et Y. May (Anaïs Demoustier) rencontre John (Tom Mercier) dans ce night-club sans nom dirigé par une mystérieuse "physionomiste" (Béatrice Dalle).


 


 


 

May est attirée par cet homme étrange et mutique qui ne participe à rien, se contentant d’observer en attendant, confie-t-il, "un événement extraordinaire qui devrait changer sa vie". La jeune femme est gaie, sociable et énergique ; John est souvent triste, sans âge, sans amis. Au fil des ans, toujours dans ce même lieu finalement baptisé par sa propriétaire "La Bête dans la jungle", May et John se fréquentent d’une amitié amoureuse, jalouse et distante. Ils sont fascinés et finalement annihilés par cette vaine attente, persuadés autant qu’effrayés de l’arrivée de la "chose", cette vérité providentielle qui devrait être la révélation de leur vie.


 


 


 

Les modes changent, les amis disparaissent, les couples se défont, eux restent immobiles et ne sont plus que les observateurs d’une vie qui défile devant eux sans qu’ils y prennent part. À force de passer à côté de leur vie et sans doute de leur amour réciproque, ce qui finalement advient n’est plus que, banalement, la maladie, la mort et la douleur du regret. Le réalisateur Patric Chiha reste assez fidèle à l’esprit de la nouvelle de Henry James, complexe et ambiguë, dont les personnages vivent dans un trouble et vain plaisir à reporter indéfiniment tout engagement, manquer leur rencontre amoureuse, repousser leur vie. Il manque cependant à la transcription opérée par le film l’ironie et la distance qui se trouvent dans l’œuvre littéraire.


 


 


 

Le lieu unique (la boîte de nuit), le huis clos permanent, la répétition, rendent toute chose étouffante et pesante. L’interprétation de Tom Mercier est monocorde, seule Anaïs Demoustier tient son rôle remarquablement. Les choix de lieu, de contexte, de temps, opérés par le réalisateur, complexifient encore l’aspect énigmatique de la nouvelle originelle en y greffant des éléments contemporains et en mettant en parallèle la psychologie des personnages avec les événements du monde extérieur (l’épidémie de sida, le 11-septembre, les modes musicales et vestimentaires et même la mort du chanteur Klaus Nomi). Cela fait beaucoup pour le spectateur qui finit par avoir le tournis face à ces surplus de sens.


 

Passer de la littérature au cinéma est souvent passionnant et certainement pas aisé. Dans ce cas particulier, la nouvelle de Henry James a déjà fait l’objet d’adaptations, au théâtre par Marguerite Duras en 1981, à la télévision avec la reprise de l’adaptation théâtrale filmée par Benoît Jacquot en 1988, avec Delphine Seyrig et Samy Frey, et, également, au cinéma avec La Chambre verte de François Truffaut en 1978, un film inspiré de plusieurs nouvelles de Henry James, dont La Bête dans la jungle. On attend également la sortie du prochain film de Bertrand Bonello, adaptation de la nouvelle, cette fois dans le genre science-fiction. On peut s’interroger sur cet intérêt des réalisateurs et scénaristes à se confronter à la complexité littéraire et psychologique des œuvres de Henry James et au peu d’action qui s’y trouve. Ces films n’ont guère dépassé le stade d’une petite notoriété, que cela soit Daisy Miller de Peter Bogdanovich (1974) ou Les Bostoniennes de James Ivory (1984), malgré les moyens qui y furent mis. Y aurait-il aujourd’hui un surcroît d’intérêt pour cet auteur, en ces temps dissonants et inquiets ?

Le film de Patric Chiha ne convainc pas, malgré une étonnante transposition de cette interrogation existentielle décrite à l’époque, vers une tout autre période, flamboyante puis indécise, qui est celle, à l’entrée du 21e siècle, qui précède juste la nôtre.

Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe


La Bête dans la jungle. Réal : Patric Chiha ; sc : P.C., Axelle Ropert & Jihane Chouaib, d’après le roman court La Bête dans la jungle de Henry James ; ph : Céline Bozon ; mont : Karina Ressler & Julien Lacheray ; mu : Yelli Yelli, Dino Spiluttini & Florent Charissoux, déc : Eve Martin ; cost : Claire Dubien. Int : Anaïs Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle, Martin Vischer, Sophie Demeyer, Pedro Cabanas, Mara Taquin (France-Belgique-Autriche, 2023, 103 mn).



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