par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°324-325, été 2009
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2009
Sortie le mercredi 27 mai 2009
Lorsqu’on a su que Ken Loach allait tourner un film avec et sur Éric Cantona, il faut bien avouer que la surprise n’était pas mince. Le sujet, le choix d’une célébrité ne semblait pas coller avec l’image que nous nous faisons du réalisateur. La vision du film fait voler en éclats tous ces doutes. Même si le foot ne constitue pas un thème majeur dans son œuvre, reviennent à l’esprit la scène du match de foot avec le prof de gym dans Kes (1969) ou celle de Regards et sourires (1981) filmée lors d’un vrai match. Et puis, on savait qu’il est un fin connaisseur de la chose footballistique.
La première séquence de Looking for Eric donne le ton du film avec le ballet suicidaire de la voiture dont la trajectoire est promise à l’accident. Dès le départ, Ken Loach emballe le scénario, nous entraîne dans un tourbillon qui fait oublier que le film dure deux heures. Ce scénario repose sur une mécanique simple en apparence : un postier (Eric) sort laminé de sa tentative de suicide, résultat d’une vie faite d’échecs personnels. L’apparition de son idole (Éric Cantona), descendue de l’affiche qui décore son appartement, change son destin.
L’icône le prend par la main pour l’amener à remonter la pente. Au terme de nombreuses vicissitudes, notre postier finit par sortir la tête de l’eau. Du drame le plus noir au happy end, on pourrait croire que Ken Loach verse dans un romantisme conventionnel qui sort de son ordinaire. Bien évidemment, il décline cette forme avec de nombreuses ruptures. Le recours à la comédie constitue une première rupture radicale, même s’il l’a déjà pratiquée. "Le rire est le meilleure remède" dit l’un des collègues d’Eric qui demande à ses coéquipiers du tri postal de lui raconter des histoires drôles.
Suit une séquence de thérapie dans laquelle chacun doit dire quel est son personnage préféré. Cette fois-ci, le dialogue prime, finement écrit et dit par les acteurs. La fantaisie est un élément constitutif du quotidien de ces ouvriers. Ici encore, Ken Loach développe une constante de son œuvre. Ces personnages au physique ingrat habitent le film de leur verve langagière, de leur humour au premier degré, de leur capacité à descendre les pintes de bière. La vision qu’il en donne n’est nullement anecdotique, elle constitue le fond de la partition sur laquelle les acteurs peuvent développer leurs solos.
Autre rupture, c’est celle de l’intrusion d’une idole dans l’univers loachien, nouveauté absolue. La manière dont Éric Cantona trouve sa place dans le film ne vient pas seulement de la commande (comme coproducteur) passée par l’ex-footballeur mythique du Manchester United. L’acteur et le réalisateur jouent sur le mythe et le prennent à contrepied dans le même mouvement. Les buts de légende, la passe, dont le footballeur dit qu’elle reste pour lui son plus beau geste, nous sont offerts, grand écran. À elle seule, sa manière de s’exprimer amalgamant français et anglais dans le même accent méridional, donne à son texte une tonalité surprenante. On n’oubliera pas certaines de ses répliques, "I am not a man. I am Cantona" en particulier, dite avec le plus grand sérieux immédiatement suivi du sourire en coin qui lui est propre. On retrouve aussi le fameux aphorisme sur les mouettes, condensé de la philosophie cantonienne, habilement amené au détour d’une courte réplique d’Eric le postier et que le cinéaste nous livre en images d’archives dans le générique final.
Looking for Eric offre à ses personnages la possibilité de revanches sur les malheurs de la vie. Revanche sur les malfrats dans une longue séquence qui commence avec un car de copains d’Eric déguisés en Cantona. Revanche du personnage principal sur son échec sentimental dans les retrouvailles avec Lili, sa première femme, son grand amour né aux accents du "Blue Suede Shoes" de Elvis Presley, autre king. Ici aussi, la figure des chaussures en daim bleues donne l’occasion d’un savoureux effet de scénario.
On aimerait, détailler davantage la richesse du film dans son fourmillement narratif, ses thématiques, la fluidité de la mise en scène, cette mise en scène "invisible" qui donne l’impression de s’effacer devant le récit, et qui pourtant s’accorde si parfaitement à celui-ci. Il est difficile de dire quelle place occupera Looking for Eric dans l’œuvre de Ken Loach. Une place à part en tout cas, un souvenir de douce euphorie, le versant au clair d’une œuvre souvent plus sombre. Ce sera aussi la découverte de Steve Evets, qui rejoint la longue liste des talents révélés par le cinéaste.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n°324-325, été 2009
Looking for Eric. Réal : Ken Loach ; sc : Paul Laverty ; ph : Barry Ackroyd ; mont : Jonathan Morris ; mu : George Fenton. Int : Steve Evets, Éric Cantona, Stephanie Bishop, John Enshaw, Gerard Kearns, Steve Marsh, Stefan Gumbs (Grande-Bretagne-France-Belgique-Italie-Espagne, 2009, 116 min).