par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 364 hiver 2015
Sélection ACID au Festival de Cannes 2014
Sortie le mercredi 25 février 2015
Le film de Joseph Morder aborde la rencontre entre une émigrée juive polonaise (Alexandra Stewart) de retour à Paris et son petit-fils (Andy Gillet) peintre, en panne de création. Peu à peu, s’installe entre eux un climat de confiance, notamment autour des souvenirs enfouis de la déportation de la grand-mère au camp de Bergen-Belsen.
Sorte d’autobiographie de l’auteur, qui, pour ne pas sombrer dans l’impossibilité de "rendre visible" l’horreur des camps, prend le parti de mêler à la gravité du sujet, la légèreté de l’évocation, utilisant les ressources visuelles de la peinture. Le pari est audacieux, le travail considérable et l’effet saisissant.
Tout se passe en décor peint, les deux protagonistes sont les seuls acteurs, quelques silhouettes en carton-pâte surgissent parfois dans les scènes, et tous deux traversent Paris à pied, de la Concorde au jardin du Luxembourg, en passant par le Pont-Neuf et le Louvre, ruelles et rues parisiennes sous un ciel nuageux, peint à grands gestes et petites touches dans une palette de couleurs chaudes, riantes, ensoleillées.
L’idée est tirée de L’Anglaise et le duc de Éric Rohmer (2001) auquel d’ailleurs Joseph Morder emprunte aussi l’acteur de son ultime film Les Amours d’Astrée et de Céladon. Le procédé peut aussi faire songer à Alain Resnais et son tristement dernier film Aimer, boire et chanter (2014).
Mais Joseph Morder se réclame plus volontiers de l’influence de Vincente Minnelli, lui-même très admiratif des artistes fauves et impressionnistes, dont il s’était inspiré pour les décors de la séquence du ballet de Un Américain à Paris (1951). Son attirance pour le cinéma hollywoodien, lui qui a expérimenté tous les genres, remonte à une passion indéfectible pour le cinéma qui, depuis "le frisson du premier film", le fait vivre avec plaisir et intelligence.
Le dispositif scénique surprenant de ce film tient dans les décors peints et la façon dont ils sont peints, proches parfois de certaines œuvres réalistes des années 30.
Au début, déconcerté par ce choix, la vision est difficile. Puis la traversée de Paris insouciante et libre des deux protagonistes transforme le récit de la déportation remémorée par Alexandra Stewart en véritable confession intime chuchotée à l’abri des décors, qui agissent comme remparts colorés contre la réalité du monde.
Ce récit, face caméra sur fond noir peut paraître fastidieux et long, mais c’est un parti pris aussi nécessaire et absolu dans la diction et la prononciation de l’actrice que dans les silences.
Un film étonnant "travaillé à la main" qui invente une forme capable de transcender la gravité d’un sujet en émotion.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 364 hiver 2015
La Duchesse de Varsovie. Réal, sc : Joseph Morder ; sc : Mariette Désert, Cécile Vargaftig, Harold Manning ; ph : Benjamin Chartier ; mont : Isabelle Rathery ; mu : Jacques Davidovici. Int : Andy Gillet, Alexandra Stewart, Rosette, Françoise Michaud (France, 2014, 86 mn).