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Zorba le Grec (1964)
de Michael Cacoyannis
publié le mercredi 25 février 2015

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 6 mars avril 1965

Ressortie le mercredi 25 février 2015

"Patron, il faut dire oui ou non, tout de suite, sans réfléchir", dit Zorba au jeune Anglais qui pèse les risques et les avantages de se faire accompagner de ce Grec exubérant.

Le film de Cacoyannis donne envie de lancer un oui rapide, risqué, et de ne rien peser. Et de laisser sur la rive, le bon goût, le souci d’authenticité grecque, les références au tragique non moins grec, les exigences du constat social, etc., juste de se laisser couler au fil du plaisir. Plaisir donc de suivre une belle histoire.

Zorba, l’homme aux mille tours, est en quête d’un patron, à servir, qui sait, à plumer, d’un compagnon, d’un homme à aimer. Il prend en mains ce jeune Anglais venu exploiter une petite mine abandonnée à flanc de montagne en Crète.

Celui-ci engage sa petite fortune dans les entreprises de Zorba.
Son projet est simple et grandiose : faire couler, à flanc de montagne, le beau bois des moines voisins, la forêt verte aux beaux troncs qui grimpe jusqu’au sommet. Un peu d’eau changée en vin pour se concilier les moines, quelques crochets achetés à la ville voisine, occasion d’une noce fabuleuse, des poteaux hissé à bras d’hommes, un angle de chute à calculer. Le plus important, dit Zorba, étant la confiance du maître devenu ami, car c’est le secret du succès ou de la catastrophe. Et le projet se réalise.

Le jour de l’inauguration venu, tout le village, tout le monastère est rassemblé pour voir dégringoler le bois de l’Anglais.
Béni par le Pope, il s’élance, bondit, rebondit… et s’enfonce dans la mer faisant écrouler toute la charpente. Les assistants terrifiés se sont enfuis, et l’Anglais contemple les poteaux écroulés de proche en proche jusqu’au sommet de la montagne. Zorba, alors, salue d’un grand rire la plus belle catastrophe de sa carrière, et l’Anglais, "coupant la corde" comme dit Zorba, renonce à son projet de retourner en Angleterre. Il décide de vivre au jour le jour, avec Zorba son ami.

À cette histoire d’amitié, à ce Servant à l’envers, Cacoyannis a mêlé deux anecdotes superbes.

Celle de la veuve qui attire tous les hommes, se donne à l’Anglais, et se fait assassiner par le village entier qui n’entend pas laisser aux femmes la libre disposition d’elles-mêmes.

Celle surtout de la "madame", vieille actrice française qui tient l’hôtel de l’île, en rêvant à se amours splendides et passées, et dont Zorba réchauffe les derniers instants. L’épisode ouvre, dans une œuvre truculente, une courte échappée sur l’horreur, quand les vieilles centenaires du village, celles-là mêmes qui criaient à la mort de la veuve, épient, accroupies sur le seuil, le moment d’aller piller et se vêtir des fanfreluches de la vieille courtisane. Un certain moment, il se fait comme une coulée de noir, un vol de mouches, ou de charognards, assez extraordinaire.

Le rôle de Zorba est interprété de manière magistrale par Anthony Quinn.
Avec sa stature gigantesque, ses yeux brillants dans sa figure mal rabotée, il donne cent visages à Zorba-le-Divers : Zorba-Californie, qui fait rêver de bénéfices fabuleux, Zorba-l’Épidémie, qui ruine tout ce qu’il touche ; Zorba-le-Fou, qui dépense le capital du patron à couvrir les filles de fleurs ; Zorba-le-Bon, Zorba-le-Libre, qui vend son travail et garde pour lui seul son sirtaki.

Les vedettes, Quinn, Lila Kedrova la madame Hortense (1), Irène Papas la veuve, sont entourées des paysans de l’île où Cacoyannis a tourné. Nulle photo pittoresque, pas de belles têtes paysannes tranchant sur la pierre blanche dans de beaux paysages grecs. La Crète n’est qu’entrevue.

Mais il vous prend, dans la salle noire, l’envie d’avoir une maison, d’ouvrir au matin une porte sur la mer et, larguant ses vêtements, d’aller se plonger tout nu, comme Zorba, dans l’eau grecque.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 6 mars avril 1965

1. Lila Kedrova : Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour Zorba le Grec, aux Oscars 1965.

Zorba le Grec. Réal : de Michael Cacoyannis ; sc. M.C. d’après le roman de Nikos Kazantzakis ; mu : Mikis Theodorakis ; ph : Walter Lassaly ; mont : Michael Cacoyannis. Int : Anthony Quinn, Alan Bates, Irène Papas, Lila Kedrova (Grèce-USA-Grande-Bretagne, 1964, 142 mn).

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