par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°423, été 2023
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2023
Sortie le mercredi 30 août 2023
On connaissait le nom de Ramata-Toulaye Sy pour son court métrage primé au Festival de Clermont-Ferrand 2022, sans avoir vu Astel, le brouillon, semble-t-il, de ce premier long métrage. D’où notre étonnement devant ce film presque surgi de nulle part, portant un regard neuf sur une situation inhabituelle.
Superbe portrait de femme rebelle face à un milieu contraignant : un village sénégalais loin du monde, coincé dans ses pratiques traditionnelles (la lignée du chef ne doit pas être entravée, l’épouse est esclave de sa belle-mère), et religieuses (école coranique, prières). Banel est amoureuse, follement, de son époux Adama, au point de mal supporter d’être loin de lui - elle l’entraîne dans leur case dès son retour du travail, pratique rare dans la communauté. Elle était d’ailleurs déjà son amante avant que son premier mari ne meure en tombant dans un puits mal obturé, et on peut la soupçonner d’avoir joué un rôle dans sa disparition - un vrai crime d’amour.
Une rebelle, disions-nous : elle refuse de faire un enfant, rechigne devant les consignes de sa belle-mère, affirme constamment sa différence, écrivant ainsi partout son nom et celui d’Adama à l’occidentale, alors que les enfants du village font leurs devoirs en caractères arabes sur leurs ardoises. Son rêve : quitter leur case pour s’installer à l’écart du village dans les deux étranges maisons jumelles, construites en dur et jamais occupées, ensevelies sous le sable, qu’Adama tente de rendre habitables.
Celui-ci, en revanche, est bien plus transparent : entraîné par Banel à la rébellion, il demeure pourtant soumis à la famille et à l’ordre immémorial qu’il finira par rejoindre.
Les rapports entre les villageois - les travaux, le conseil des anciens, les amitiés et les haines entre femmes - sont remarquablement indiqués, sans lourdeur. Quant à la forme, elle est remarquable, mêlant plans poétiques (dans le meilleur sens du terme) et visions grandioses (le brouillard de sable qui couvre les maisons convoitées), traversées par un souffle qui n’obéit à aucune emphase inutile.
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°423, été 2023
Banel et Adama (Banel e Adama). Réal, sc : Ramata-Toulaye Sy ; ph : Amine Berrada ; mont : Vincent Tricon ; mu : Bachar Khalifé. Int : Khady Mane, Mamadou Diallo, Racine Sy, Moussa Sow (France-Sénégal-Mali, 2023, 87 mn).