Hyères 1969
5e édition
publié le mercredi 6 septembre 2023

par Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°40, juin 1969


 


Considérées par certains comme un festival en miniature, pour ne pas dire mineur, les Rencontres internationales du jeune cinéma de Hyères sont pourtant autre chose : la notion même de "rencontres" et de "jeune cinéma" exclut celle de perfection et de consécration que l’on s’attend généralement à trouver dans un festival. Certes il y a un palmarès, mais à Hyères, l’important n’est pas tellement de voir ce qui se fait de mieux en matière de jeune cinéma. L’important est de permettre à de jeunes auteurs, à des critiques, à un public (qui n’est pas forcément cinéphile), de se rendre compte s’ils peuvent communiquer à travers une œuvre cinématographique qui se voudrait parfois expérimentale. Or cette année, s’il a été particulièrement difficile aux uns et aux autres de se retrouver de cette façon, il ne faut pas regretter que les Rencontres aient été ce qu’elles furent, quelles que soient les déceptions, ou l’irritation causées par certains films, ou par un sentiment général de malaise latent. Car ces déceptions, cette irritation, ce malaise ont des conséquences positives dans la mesure où, à partir de cela, peut s’amorcer une réflexion qu’il faudrait un jour développer.


 

Certains aspects du cinéma français, par exemple, posent des problèmes assez graves. Nous avons vu des œuvres comme L’Acéphale de Patrick Deval (1968), Le Joueur de quilles de Jean-Pierre Lajournade (1968) qui témoignent sans doute de la quête sincère de quelque chose. Mais leurs intentions ambitieuses s’égarent souvent dans une expression d’un intellectualisme assez insoutenable, ennuyeux et hermétique. Or, on se demande toujours si l’hermétisme ne débouche pas tout simplement sur du vide... Du propos de ces deux films, il reste peu de choses, la sensation d’un silence peuplé de sifflements difficilement supportables, l’idée abstraite de la décadence de la société en régression vers une vie primitive, le désir nostalgique d’échapper au monde moderne, et, quand même, quelques très belles images, par exemple celle d’un homme suspendu à un arbre comme un cocon au milieu de ses fils de soie. Est-ce assez pour penser que ces auteurs ont du talent et quelque chose à dire, et espérer qu’ils arriveront un jour à se libérer d’un univers formel plutôt stérile pour accéder à une simplicité vraie, à une profondeur immédiatement perceptible, sinon immédiatement livrée ? Souhaitons-le. (1)


 

Le Cinématographe de Michel Baulez (1969) est une autre forme d’un cinéma du vide, mais volontaire cette fois et non par excès d’hermétisme. Fait avec très peu de moyens, 800 000 anciens francs, c’est un film-canular d’un humour tout à fait irrésistible par moments (le plan des spaghetti), d’un ennui féroce à d’autres (le long travelling dans une rue où rien ne se passe). Le public ne peut qu’être complice amusé et même séduit, ou victime furieuse de ce film, dans la mesure où il accepte ou refuse de n’avoir presque rien à se mettre sous l’œil. (2)
Ces trois films sont sans doute les œuvres qui ont le plus donné aux spectateurs le sentiment d’être agressés inutilement. Entre eux - par beaucoup de côtés tout à fait insupportables et prétentieux, mais manifestant le besoin d’exprimer une réelle difficulté d’être sur le plan de l’homme et sur celui de l’artiste (c’est pourquoi ils ne nous en irritent que davantage) -, et le Grand Prix de ces Rencontres se situent des œuvres dont il est difficile de dire quelque chose. Le Dernier homme de Charles Bitsch (1967) ne serait pas inintéressant si son propos n’en était pas complètement dénaturé par une interprétation d’une maladresse insigne (4). Quant à La Trêve de Claude Guillemot (1968), sorte de parodie des films de gangsters, il fut projeté dans un charivari tel qu’autant dire que nous ne l’avons pas vu.


 

Parmi les films français venus à Hyères, on retient d’abord Sept jours ailleurs de Marin Karmitz (1968), qui doit sortir sur les écrans parisiens d’ici la fin de l’année, nous aurons donc l’occasion d’en parler. Disons seulement dès maintenant qu’il s’agit d’une œuvre sensible et intelligente, qui se voudrait engagée et dénonciatrice de la société de consommation (aux dires de l’auteur lui-même), et qui, sur ce plan-là n’est pas réussie. Mais elle l’est bien davantage quand elle montre la crise psychologique et sentimentale que traverse un compositeur qui se cherche et essaie de résoudre ses problèmes personnels et conjugaux le temps d’une tournée en province, le temps d’une liaison passagère et tendre, et qui n’y arrive pas. (5)


 

Paul de Diourka Medweczky (1968) s’est détaché de l’ensemble des œuvres françaises, d’abord par son extrême beauté plastique dont la pureté, dans les lignes, dans le rythme, souligne et accentue celle du contenu (3). Un jeune garçon, Paul (Jean-Pierre Léaud), quitte sa famille pour se joindre, aux hasards d’une rencontre, à un groupe de végétariens dont la vie paisible et douce le séduit et le retient. Mais la nature n’est accueillante que dans la mesure où les habitants des villages et des villes ne pourchassent pas ceux qu’elle abrite : poursuivi, le groupe éclate et s’éparpille. Un couple se forme, tente de survivre jusqu’au jour où sa retraite est envahie par la civilisation sous les traits de promoteurs de constructions immobilières. Tout est pourri au royaume de l’argent...


 

Finalement, presque tous les films français présentés à Hyères dénoncent cette idée de pourrissement inhérent à notre société actuelle et trahissent le sentiment d’un malaise inconfortable qui s’est retrouvé non seulement au niveau de l’expression de certaines œuvres, mais aussi au niveau des réactions du public et des échanges que l’on pouvait avoir les uns avec les autres, au cours des réunions d’information, ou quand les moments de pause, fort rares, le permettaient.
Il est certain que le jeune cinéma français, tel qu’il nous a été montré à Hyères, se cherche et a souvent du mal à se trouver. Il n’est pas inutile de le savoir et de s’en inquiéter. C’est évidemment significatif d’un malaise et d’une sorte d’impuissance que nous ressentons dans d’autres domaines.


 

Déroutés par un langage dont ils ne détenaient pas la clef, les spectateurs apprécièrent d’autant plus l’ensemble de la sélection étrangère. Les films qu’elle offrait (et qui, pour la plupart, avaient déjà été vus dans d’autres festivals) apparurent, en général, plus cohérents, plus réalistes, plus immédiatement accessibles, plus vivants aussi, mais peut-être moins audacieux finalement sur le plan de la recherche formelle. À l’exception du très étonnant Notre-Dame des Turcs de Carmelo Bene (1968), hors compétition car déjà primé à Venise, œuvre véritablement insensée dont le baroque exacerbé explose en un ruissellement de musique, de mots, de couleurs et de mouvements, et qui a enthousiasmé le public hyérois. (6)


 

Quand je serai mort et livide du Yougoslave Zivojin Pavlovic (1967) reçut le Prix du meilleur film étranger et celui de la Fédération internationale des ciné-clubs "pour la vérité, l’humanité et la lucidité teintée d’humour avec lesquelles il montre un individu en marge de la société, et les institutions et gens en place auxquels il se heurte". (7)


 

Très différent, mais également vrai, également humain, également lucide est Cati, le premier film de Marta Meszaros (1968), Mention spéciale du jury, qui donne tout le temps l’image émouvante d’une jeunesse fière. (8)

Les courts métrages

Cette année, il n’y a pas de festival de courts métrages à Tours et à Annecy. Cette 5e édition des Rencontres de Hyères a eu à cœur de prendre le relais en montrant plus de soixante-dix courts métrages, sans véritable pré-sélection.
Sur le nombre, une bonne vingtaine ont attiré l’attention, à des titres divers, soit parce que c’était de la belle ouvrage, soit, et c’est presque plus important, parce qu’ils permettaient de découvrir, malgré des maladresses ou des imperfections, des tempéraments doués de sensibilité et d’humour. Restent, évidemment, beaucoup d’essais malheureux dont un grand nombre dénotait une extrême confusion au niveau de la réflexion et de l’image.


 

Parmi les œuvres intéressantes non primées, citons Les Noces d’Hirondelle de Philippe Durand (1966), ou Hirondelle à la recherche douloureuse d’elle-même (9), le spirituel Auto-portrait de Patrice Leconte (1968), le prometteur Joseph ou comment peut-on être vosgien de Luc Béraud (1968), et un film dénonciateur des conditions de vie de travailleurs noirs : Paris des négritudes de Jean Schmidt (1969).

Grand Prix des courts métrages à l’unanimité du jury, Le Temps de la timidité (1968) est l’œuvre d’un jeune réalisateur de télévision, Bernard Bouthier. Le film, tourné en 16 mm, touche vraiment par la fraîcheur du regard, la justesse de ton, la manière très pudique et simple de montrer des jeunes à l’âge des incertitudes sociales et sentimentales. La ville de Sète apparaît dans toute sa beauté lumineuse mais aussi dans une situation économique angoissante.

Nous devons à Michael Raeburn un courageux et violent réquisitoire contre le racisme en Rhodésie, avec Rhodesia Count Down (1969), film de fiction à valeur documentaire, et à Paule Sengissen, Les Yeux de l’été (1968), réflexion émouvante de deux jeunes gens conscients de vivre dans un malaise qu’ils n’arrivent pas à dépasser. Ces deux films ont obtenu une Mention spéciale.

Mais, peut-on se demander, à quoi bon ces Prix, ces succès d’estime ?
Qui verra ces quelques films intéressants ?
Et, s’ils ont la chance de sortir, dans quelles conditions seront-ils vus ?
À Hyères, les réunions d’information sur le jeune cinéma en général, sur les courts métrages en particulier, les conversations avec les auteurs ont, une fois de plus, fait ressortir à quel point la distribution des films était insuffisante et souvent incohérente. Raison de plus pour que le jeune cinéma, lui, aille vers un langage plus clair, plus cohérent pour qu’on ait vraiment envie de se battre pour l’aider à s’imposer.

Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°40, juin 1969

1. L’Acéphale de Patrick Deval (1968), film expérimental sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs, dont c’était la 1ère édition au Festival de Cannes 1969, n’est pas sorti en salle. Le Joueur de quilles (1968) de Jean-Pierre Lajournade (1937-1976).

2. Le Cinématographe de Michel Baulez (1969), film expérimental sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 1969, n’est pas sorti en salle.

3. Paul de Diourka Medveczky (1968) dont c’est l’unique long-métrage, a remporté le Grand Prix de Hyères 1969. Le sculpteur Diourka Medveczky (1930-2018) a été marié à Bernadette Lafont (1938-2013 de 1959 à 1974. Le film n’est pas sorti en salle (n DVD en 2012).

4. Le Dernier homme de Charles L. Bitsch (1967) est sorti en salle en 1972 (la date varie selon les sources).

5. Sept jours ailleurs de Marin Karmitz (1968), sélectionné en compétition par la Mostra de Venise 1969, est sorti en salle le 29 août 1969.

6. Notre-Dame des Turcs (Nostra Signora dei Turchi) est le 1er long métrage de de Carmelo Bene. Il a été sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 1969, et a reçu le Grand prix du jury à la Mostra de Venise 1968.
Il est sorti en France le 6 juin 1969.

7. Quand je serai mort et livide (Kad budem mrtav i beo) de Živojin Pavlović (1967) a été sélectionné et primé aux festivals de Pula 1968 et de Karlovy Vary 1968, et il est sorti en salle en France le 10 septembre 1969.

(8) Cati (Eltávozott nap) de Márta Mészáros (1968) est sorti le 30 avril 1969.

9. Les Noces d’Hirondelle de Philippe Durand (1966) est visible sur le site de la Cinémathèque de Bretagne.



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