Hyères 1971
7e édition
publié le samedi 9 septembre 2023

par Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°56, juillet 1971


 


Le Festival de Hyères offre le singulier avantage de voir des films que l’on ne pourra sans doute pas voir ailleurs. À quelques exceptions près. Piètre avantage pour les films, évidemment. Un peu morne, un peu "sans passion", mais le festival présentait des films qui dans leur recherche et leurs préoccupations n’étaient pourtant pas sans intérêt. Surtout, une fois encore, dans la sélection étrangère.


 

À noter, cependant, et d’abord parmi les films français hors compétition Vladimir et Rosa de Jean-Luc Godard (1970), à la fois passionnant, drôle et émouvant tout ensemble, et quand même irritant. Une sorte d’interrogation assez désespérée sur les limites d’expression et d’efficacité politiques du cinéaste, à propos du compte rendu d’un procès. Interrogation que l’on retrouve dans tous les derniers films de Jean-Luc Godard, et qui arrive là à un point culminant dans une sorte de démonstration par l’absurde, mettant en évidence dans quelles contradictions s’est finalement enfermé le cinéaste militant. Démonstration alourdie - et c’est de là que vient le fait que l’on "décroche" - par une longue lecture lassante à la manière d’un récitatif de citations marxistes, un procédé déjà souvent utilisé ce qui donne finalement l’impression qu’il se répète un peu stérilement. (1)


 

Autre film français hors compétition, Une aventure de Billy the Kid de Luc Moullet (1971). Son grand mérite est de faire rire avec une remarquable économie de moyens. C’est une sorte de western pastiché avec un Billy le Kid tout à fait débile, incarné par Jean-Pierre Léaud lâché dans un paysage des Basses-Alpes qui n’a rien à envier à ceux, grandioses, des westerns américains. (2)


 

À côté de ces films d’auteurs déjà connus - il y avait aussi un film de Marcel Hanoun, Le Printemps (1970), - dont la déconstruction recherchée du récit est un non-sens (3) -, on a pu voir le premier film du chanteur-compositeur Pierre Barouh, Ça va, ça vient (1971). C’était cela en effet : ça allait, ça venait dans une salle que lassait par moments cette espèce de chronique vaguement impressionniste - avec quelques moments privilégiés -, montrant d’une manière superficielle la journée d’un ouvrier un jour de grève de transports. (4) Plus solide, quoique n’allant pas encore très loin, Étoile aux dents ou Poulou le magnifique, le premier film d’un jeune Algérien Derri Berkani, (1971) film tourné en France et qui relate l’existence d’un garçon un peu en marge de tout puisqu’il ne veut pas travailler, et qu’il s’en tire en étant écrivain public pour ses camarades illettrés. À travers lui, et à travers son compagnon de chambre, Poulou-le-magnifique-qui-ne deviendra-jamais-champion-du-monde-de-boxe, à travers une libraire, à travers ses compatriotes, et au hasard des rues de Paris, se dessine sans effet ostentatoire, un ensemble de conditions de vie qui ne manque pas de réalisme. (5)


 

Deux autres films français, des documentaires qui avaient choisi très nettement de faire œuvre engagée, atteignent plus ou moins bien leur objectif. No Pincha de Tobias Engel, René Lefort & Gilbert Igel (1971), film sur le combat que mènent les Noirs en Guinée portugaise, informe très peu finalement le spectateur. Nigeria, Nigeria one de Henri Hervé (1970) est un honnête reportage, assez bien structuré et combatif. (6)

À mi-chemin de la satire sociale et d’une science fiction de fantaisie curieusement surannée et drôlatique, tout autre est le film muet de Jacques & Stanislas Robiolles, Les yeux de maman sont des étoiles (1971), le plus inattendu sans doute, le plus inventif, irracontable. Totalement "fabriqué", il passe très bien. (7) Alors qu’un film comme La Famille de Yvan Lagrange (1970), qui n’est pas sans qualités en puissance, reste étrangement figé dans son propos, beaucoup trop même si cette rigidité des personnages et du rythme étaient commandés par le sujet lui-même. (8)


 

Comme souvent la sélection étrangère présentait des films beaucoup plus ancrés dans la réalité. Réalité grecque vue à travers un fait divers, simple prétexte au cinéaste Théodore Angelopoulos pour dénoncer la mort lente d’un village, d’un pays : en effet dans La Reconstitution (1970), si l’anecdote est mince - la reconstitution du meurtre d’un ouvrier à son retour d’Allemagne, par sa femme et l’amant de celle-ci -, le pays existe dans sa chaleur, son immobilité, son paysage, ses murs, ses habitants. (9)


 

Réalité grecque encore dénoncée dans un mélodrame de Alexis Damianos, Je vois un soldat (1971), dont le ton cerne bien cette espèce de réalisme lourd dans lequel vit une population urbaine en marge, qu’il avait déjà montrée dans Jusqu’au bateau (1966). (10)


 

Autre réalité, davantage vue dans un contexte historique : Pâques fleuries, le film de Imre Gyöngyössi (1969) est un peu difficile à saisir lorsqu’on ignore certains événements de la Hongrie de 1919 (11).


 

Et Les Adieux de Egon Gunther (1968) que nous avons pu voir lors de la Semaine de la RDA au Ranelagh. (12)


 

Moins situé historiquement mais nourri de références aux traditions marocaines, Traces de Hamid Benani (1970) dénonce, à travers l’histoire psychanalytique d’un être, un certain nombre de problèmes freinant l’évolution du pays. (13)

Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°56, juillet 1971

* Les Rencontres du jeune cinéma de Hyères 1971 n’ont pas décerné de Grand Prix.

1. Vladimir et Rosa de Jean-Luc Godard (1970) Jean-Luc Godard et Jean-Pierre GorinGroupe Dziga Vertov Sorti en salle le 19 octobre 1977.

2. Une aventure de Billy the Kid de Luc Moullet (1971) est sorti le 25 janvier 1971.

3. Marcel Hanoun, Le Printemps (1970) est sorti en salle le 21 juin 1971.

4. Pierre Barouh, Ça va, ça vient (1971), est sorti en salle le 19 avril 1972.

5. Étoile aux dents ou Poulou le magnifique, de Derri Berkani, (1971) n’est pas sorti en salle.

6. Le jury Vingt Ans a distingué ces deux films.

7. Jacques & Stanislas Robiolles, Les yeux de maman sont des étoiles (1971) Prix spécial du jury au Festival international du jeune cinéma de Hyères
8. La Famille de Yvan Lagrange (1970) est sorti le 21 mars 1971.

9. La Reconstitution (Anaparastasi) de Theo Angelopoulos a été sélectionné notamment au Festival de Thessalonique 1970, et à la Berlinale 1971. Il n’est pas sorti en France.

10. Je vois un soldat, alias Evdokía de Aléxis Damianós, vainqueur de la compétition du Festival de Thessalonique 1971, n’est sorti qu’en Grèce.
Jusqu’au bateau (Méchri to plío) de Alexis Damianos a été présenté au Festival du cinéma Thessalonique 1966. Il a reçu le prix de la mise en scène au Festival de Hyères en 1967.

11. Pâques fleuries de Imre Gyöngyössi (1969), alias Virágvasárnap (littéralement "Dimanche des rameaux") n’est jamais sorti en France.

12. Les Adieux (Abschied) de Egon Günther (1968). Pour la première fois, une Semaine du film de la République démocratique allemande s’est tenue au Ranelagh, sous le patronage de la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs des films français et de Unifrance (21-27 avril 1971), où le film, Les Adieux, a été projeté le 21 avril 1971. Cf. Le Film français n°1385-2403 du 16 avril 1971. Il n’est par la suite jamais sorti en salle.

13. Traces (Wechma) premier long métrage de Hamid Benani (1970) a été sélectionné aux festivals de Pesaro, Berlin (Forum), Carthage... mais n’est jamais sorti en salle en France, ni au Maroc.

En entier sur Internet.



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