Souvenirs de Ronconi
par Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe
L’annonce de la mort du metteur en scène de théâtre Luca Ronconi (1933-2015) a ravivé quelques souvenirs précieux.
D’abord, celui d’un des plus beaux moments vécus devant, ou plutôt au cœur d’un spectacle : la représentation de l’Orlando furioso, dans le dernier pavillon Baltard pas encore détruit des Halles de Paris, au début du mois de mai 1970.
Des centaines de spectateurs debout, tandis que des acteurs costumés en chevaliers moyenâgeux interprétaient des actions éclatées, circulant dans tous les sens parmi la foule, jouant de plain-pied ou grimpant sur des tréteaux.
Les combats à grands coups d’épée au milieu d’un public bousculé et ravi, l’arrivée à grande vitesse de l’hippogriffe, fabuleux animal à roulettes poussé par les acteurs, la sensation d’une fête collective sans égale depuis le Paradise Now du Living Theatre, deux ans plus tôt, au cloître des Carmes d’Avignon.
Personne ne comprenait le texte vociféré en italien, mais qui s’en souciait ? (1)
De cela, il ne reste rien aujourd’hui, sauf dans les mémoires des vivants.
Le théâtre, comme les villes et les humains, sont mortels.
De belles images de la démolition des Halles.
L’année suivante, Ronconi vint occuper le Théâtre de l’Odéon, avec XX.
L’expérience était moins "participative", pour reprendre un terme d’époque, mais tout aussi passionnante : vingt chambres avaient été construites à tous les niveaux du théâtre, dans lesquelles un groupe de spectateurs se trouvait face à un acteur interprétant un interrogatoire policier (une dictature fasciste régnait à l’extérieur) - les textes étaient différents d’une chambre à l’autre.
On pouvait se promener dans ce labyrinthe digne du Locus Solus de Roussel, cueillir une phrase (en italien, toujours), s’installer, passer dans la chambre voisine.
Avec toujours cette impression d’être une partie du "spectacle", même si le terme sonnait comme un gros mot (le livre de Debord était alors à tous les chevets).
Ronconi est revenu ensuite, au Théâtre des Amandiers de Nanterre, à l’Odéon.
Mais c’était à la fin des années 80 et la fête n’avait plus le même goût.
Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe (mercredi 25 février 2015)