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Grand Chariot (le) (2023)
de Philippe Garrel
publié le mercredi 13 septembre 2023

par Jean Max Méjean
Jeune Cinéma n°424-425, septembre 2023

Sélection officielle de la Berlinale 2023
Ours d’argent de la meilleure réalisation

Sortie le mercredi 13 septembre 2023


 


Toute la famille Garrel est presque au grand complet pour ce film-manifeste sur l’art de la scène et le théâtre. Philippe Garrel se prend pour un modeste Molière et il raconte ici, avec l’aide de son fils Louis Garrel, savamment utilisé, et celle de ses deux filles Lena et, surtout, Esther de plus en plus belle et sûre de son jeu, la vie d’une troupe de marionnettistes nommée Le Grand Chariot. Pour qui s’intéresse un tant soit peu à l’astronomie, il s’agit d’une grande constellation de notre système solaire, mais ces étoiles qui naissent et meurent, c’est aussi les membres d’une famille qui vit pour et par le théâtre, et dont l’avenir va être compromis par la mort du père, tête pensante et cheville ouvrière du groupe.


 


 

Malgré un léger abus de népotisme cher au cinéma français qui ne vit que de l’entre-soi, ce film est très agréable à découvrir, empli d’une douce mélancolie et d’un savoir-faire bien différent de ce à quoi nous avait habitués Philippe Garrel, même si l’amour et le désir traversent encore en filigrane le film. Bien sûr, l’allégorie de la marionnette n’échappera à personne : elle rappelle Ingmar Bergman, mais aussi Federico Fellini qui, de son côté, comparait le métier de cinéaste à celui du montreur de marionnettes. Elle convoque aussi le mythe de Gepetto et de sa marionnette de bois qui lui échappe, Pinocchio. Le film ressuscite aussi toutes les images du théâtre et de la vie de troupe avec ses repas en commun, ses tournées et ses rêves souvent déçus. C’est dire que Le Grand Chariot a tout pour plaire puisqu’il évoque à la fois les arts du spectacle et la littérature puisque les textes sont écrits, joués et mis en scène par la troupe.


 


 

Donc, à la mort du père, la troupe va-t-elle survivre surtout connaissant le désintérêt grandissant du public pour cet art jugé maintenant un peu ringard sauf par les enfants qui continuent de l’aimer autant qu’avant. Et qui occupent une bonne place dans la mise en scène, superbement éclairés et filmés par Jean-Paul Meurisse sur une musique originale de Jean-Louis Aubert.


 


 

En outre, le scénario est exhumé lui aussi de la succession Jean-Claude Carrière, tout comme La Croisade (2021) que Louis Garrel avait réalisé tout seul (1). Le socle du film est constitué bien sûr par les acteurs et on pourrait voir dans le rôle de la grand-mère, interprétée par Francine Bergé, une forme d’évocation du patriarche du clan Garrel, en la personne du grand-père, Maurice Garrel, grand acteur décédé en 2011.


 


 

Malheureusement, la fin du film à la fois un peu attendue et bancale laisse un peu à désirer comme si le réalisateur voulait se débarrasser du théâtre en train de mourir, ou comme si le scénario de Jean-Claude Carrière n’avait pas été terminé. En revanche, les deux sœurs fonctionnent bien ensemble et donnent une dimension encore plus réelle au film, même si on se doute que ce doit être bien différent pour une famille de cinéma. C’est Aurélien Recoing, parfait dans le rôle du père, et surtout Louis Garrel dans le rôle du fils, qui tiennent tous les deux la structure du film. Le père meurt à la fin de la première demi-heure et Louis disparaît peu après en abandonnant ses sœurs, les marionnettes pour devenir un acteur vedette au théâtre.


 

Louis Garrel, avec son humour désinvolte maintenant presque légendaire, apporte au film une note plus légère qui convient au personnage, et il se pose en frère incroyablement présent auprès de ses deux sœurs vraiment très crédibles. On dirait que le cinéma de Philippe Garrel, jusqu’à présent assez théorique, prend plus de suc en allant chercher son inspiration dans la vie de la famille, et ce n’est pas pour nous déplaire.

Jean Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "La Croisade", Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021


Le Grand Chariot. Réal : Philippe Garrel ; P.G., Jean-Claude Carrière, Caroline Deruas, Philippe Garrel & Arlette Langmann ; ph : Renato Berta ; mont : Yann Dedet ; mu : Jean-Louis Aubert ; cost : Justine Pearce. Int : Louis Garrel, Damien Mongin, Esther Garrel, Lena Garrel, Francine Bergé, Aurélien Recoing, Mathilde Weil, Asma Messaoudene (France-Suisse, 2023, 95 mn).



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