Le monde est beau avant d’être vrai. Le monde est admiré avant d’être vérifié.
Gaston Bachelard, L’Air et les Songes. Essai sur l’imagination du mouvement (1943).

Écrit et réalisé par le duo italo-autrichien Tizza Covi & Rainer Frimmel, Vera expérimente la veine d’un cinéma différent, écrit sur mesure, pour un personnage. Les réalisateurs y décrivent la vie de Vera Gemma, comédienne. Sans être vraiment un documentaire ni une pure fiction, le film explore une forme assez indéterminée entre les deux. La caméra suit, dans une extrême économie de moyens (le film est tourné en Super 16 mm), le quotidien à Rome de la magnétique Vera Gemma, fille de l’icône du western spaghetti, Giuliano Gemma (1938-2013).

Cette filiation, elle la porte dans son apparence physique, un chapeau de cow boy en permanence sur la tête, autant qu’elle l’affiche au dessus de son lit, où trône un poster géant de son défunt père. En revanche, sa propre destinée, elle la décale et l’interroge au travers de ses tenues excentriques, de ses liftings et affirme que ses propres critères de beauté sont inspirés par des artistes transgenres.

Le film, directement inspiré de son autobiographie (1) invite à traverser les apparences. Exister dans l’ombre et le chemin de la célébrité, dans une famille où l’appétit pour le cinéma et les prestations artistiques se transmettent, reste illusoire. Ce constat, Vera le partage avec son amie d’enfance, Asia Argento, autre fille de la royauté du cinéma italien, dans une belle scène face à la tombe de ce fils de Goethe dont le prénom n’est même pas mentionné sur la stèle.

Être un enfant de célébrité n’est pas un cadeau. Entre une carrière d’actrice difficile à mener en raison de sa filiation, de son apparence, et un train de vie au dessus-de ses moyens en dilapidant l’héritage, Vera est en quête de la beauté à laquelle elle a été enjointe dès la plus tendre enfance. Ainsi, avec sa sœur, ont-elles été obligées de se faire refaire le nez. Vera avoue qu’on lui a toujours dit qu’il était dommage qu’elle n’ait pas le physique de son père.

Elle veut également toujours croire à la bonté qu’elle espère au cœur de chaque personne qu’elle rencontre quand bien même cela tourne au tragique. Après un accident de la route, l’actrice aux cheveux blond platine décide d’aller à la rencontre de Daniel et Manuel. Elle va alors rencontrer le quotidien d’une autre partie de la société. Cette collision / confrontation sera pour elle une sorte de vérification du monde. Elle se met à nu devant la caméra avec beaucoup de simplicité et d’honnêteté, dans une ville de Rome aux multiples visages, bien loin du strass et des paillettes indissociables de son milieu.

Vera Gemma joue à l’écran une version d’elle-même sans aucun apitoiement sur les déboires montrés dans des scènes écrites et jouées pour la caméra. Sa participation active à la composition de son propre auto-portrait laisse évidemment penser que certains épisodes relatés lui sont réellement arrivés.

Le résultat donne un film très convaincant, un petit miracle de talent artistique pétri d’espoir. Car la personnalité vulnérable qui surgit devant les yeux du spectateur s’avère courageuse, attachante et vraie.

Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

1. L’autobiographie de Vera Gemma s’intitule Le bambine cattive diventano cieche, Bologne, Gallo & Calzati, 2004. Elle a été le point de départ du film.
Elle y parle de son héritage et de la manière dont elle a donné cet argent à des fiancés qui n’en étaient pas vraiment. Elle y affirme aussi que c’est de sa faute. Elle voulait garder les gens près d’elle, et elle leur donnait donc beaucoup d’argent.

Vera. Réal, ph, sc, mont : Tizza Covi & Rainer Frimmel ; mu : Florian Benzer & Michael Pogo Kreiner. Int : Vera Gemma, Daniel De Palma, Sebastian Dascalu, Annamaria Ciancamerla, Walter Saabel, Giuliana Gemma, Gennaro Lillio, Asia Argento (Autriche, 2022, 115 mn).