C’est de la plus fracassante manière que Thomas Cailley choisit de faire basculer son film à partir d’un registre qu’on aurait tôt fait de qualifier de psychologique (le rapport d’un père avec son fils adolescent) vers une forme d’anticipation spectaculaire, lorsque, sous le regard médusé des deux principaux protagonistes (Romain Duris et Paul Kircher, tous deux habités par cette relation filiale), une créature ailée surgit d’une ambulance sans crier gare .

La région du sud-ouest de la France, où se déroule l’intrigue, sera vite envahie par ces spécimens hybrides, mi-humains, mi-bêtes, fruits de quelque mutation sur laquelle peu nous sera dit.

Ce mixte particulier de quotidienneté et de merveilleux, auquel, après d’autres, s’était déjà essayé un François Ozon, avec son bébé volant dans le film Ricky (2009), est pour beaucoup dans l’étrangeté réelle d’un film qui, à chaque instant paraît concerner notre Humanité, laissant loin derrière lui l’immersion suffocante de Avatar 2 (1)

Les multiples lectures auxquelles pourrait donner lieu la fable - inquiétude écologique, mutations génétiques auxquelles se prête, sans le moindre effet spécial, le seul visage nu de Paul Kircher, désir et crainte de l’Autre, jusque dans leurs avatars les plus contemporains…-, Thomas Cailley a le bon goût de ne pas les souligner, accentuant cette sorte de mise à plat des différents registres du film.

La longue gestation du Règne animal, pour cause de covid et d’incendies de forêts, explique peut-être certains passages à vide, notamment dans la justification du personnage de la gendarme en charge de l’enquête (Adèle Exarchopoulos), alors que l’articulation du rapport père / fils avec la problématique "génétique" du film est remarquablement suggérée.

Lorsque, dans la dernière scène, à nouveau réunis dans leur réceptacle automobile, le père et l’adolescent, confrontés au grand Dehors, consentent à se séparer, nous devinons bien que le fils, déjà atteint par le mal, s’apprête à voler de ce que l’on n’ose appeler "ses propres ailes".

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°423, été 2023

1. Avatar 2 La Voie de l’eau (Avatar : The Way of Water) de James Cameron (2022). Oscar 2023 des meilleurs effets visuels.

Le Règne animal. Réal : Thomas Cailley ; sc : T.C. & Pauline Munier ; ph : David Cailley ; mont : Lilian Corbeille ; mu : Andrea Laszlo De Simone. Int : Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier (France, 2023, 130 mn).