Cette adaptation, cosignée par le scénariste oscarisé de Forrest Gump (1), Eric Roth et Martin Scorsese, du puissant récit éponyme de David Grann, publié en 2017, au titre français plutôt hermétique, La Note américaine (Ed. Globe, 2018), relate une terrible tragédie qui s’est déroulée dans les années 1920 sur la réserve des Indiens Osages, en Oklahoma. Le titre original est tiré d’une complainte écrite en 2009, par Elise Paschen, poétesse osage. Elle évoque une espèce de fleurs invasives qui, au printemps, avec la pleine lune, recouvre les prairies, étouffant toutes les autres… La métaphore est évidente. À l’image de cette flower moon, la civilisation blanche a étouffé les peuples indiens en s’emparant de leurs territoires.

Le pétrole découvert quelques années plus tôt sur leurs terres désolées leur a apporté une immense fortune, mais aussi la jalousie et la convoitise de spéculateurs et canailles de toutes sortes. Ces derniers prêts à tout pour les déposséder de leurs biens, de l’intrigue à la violence, de l’intimidation au meurtre, avec la complicité de la police et de la justice locales. Les autorités mirent les familles indiennes sous tutelle afin de gérer leur patrimoine, sans oublier de prendre largement leur commission. Cette situation insupportable obligea bientôt l’État fédéral à confier les enquêtes au BOI (Bureau of Investigation) du tout jeune J. Edgar Hoover, qui deviendra le FBI.

Les recherches se portèrent rapidement sur un influent notable local : William Hale. Le récit solide et classique d’une machination démoniaque s’organise autour de ce potentat respecté et croyant, aux allures bienveillantes, plutôt sympathique au début (fabuleux Robert De Niro) et de son neveu Ernest Burkhart (impressionnant Leonardo DiCaprio) qu’il charge des basses œuvres et incite à épouser la belle Indienne Mollie (poignante Lily Gladstone), figure émouvante de la résistance pacifique et résolue du peuple indien.

Le cynisme glaçant de William Hale apparaît progressivement jusqu’à devenir effrayant. "Je les adore, mais la Terre tourne, ils vont disparaître", explique-t-il, avec une placidité terrifiante, à son neveu pour légitimer les crimes commis sur la famille de Mollie.

Empruntant à plusieurs genres (western, film noir, thriller, film de procès), cette grande fresque, à la fois requiem pour un Ouest en train de disparaître et hommage vibrant aux Native Americans résignés et victimes d’un ultime génocide, ponctuée par la musique lancinante de Robbie Robertson, raconte une fois encore - comme Gangs of New York (2), la violence, la manipulation, l’individualisme et le racisme qui ont construit la nation américaine.

Gérard Camy
Jeune Cinéma n°423, été 2023

1. Forrest Gump de Robert Zemeckis (1994) est une adaptation du roman du même nom de l’écrivain Winston Groom, paru en 1986.

2. Gangs of New York de Martin Scorsese (2002) est une adaptation de l’essai historique The Gangs of New York : An Informal History of the Underworld de Herbert Asbury paru en 1927 (NYC, Publishing Company). L’ouvrage n’a jamais été traduit en français et est tombé dans le domaine public le 1er janvier 2023.

Killers of the Flower Moon. Réal : Martin Scorsese ; sc : M.S. & Eric Roth d’après David Grann ; ph : Rodrigo Prieto ; mont : Thelma Schoonmaker ; mu : Robbie Robertson. Int : Robert De Niro, Leonardo DiCaprio, Lily Gladstone, Jesse Plemons, John Lightgow, Brendan Fraser (USA, 2023, 206 mn).