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Déménagement (1993)
de Shinji Sōmai
publié le mercredi 25 octobre 2023

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 1993
Sélection officielle Venezia Classici de la Mostra de Venise 2023.
Prix de la meilleure restauration

Sortie le mercredi 25 octobre 2023


 


Ce dixième film de Shinji Sōmai (1948-2001), sélectionné dans la section Un certain regard à Cannes en 1993 et resté inédit, sort en salle grâce au prix de la meilleure restauration décerné au dernier Festival de Venise. Hormis une rétrospective de son œuvre au festival des Trois continents et à la cinémathèque en 2013, son nom reste méconnu, ce que déplorent Ryusuke Hamagushi et Hirokazu Kore-eda, ce dernier faisant valoir son influence sur ses films (1).


 

La pluie en zébrures transparentes glisse, le long des vitres de la fenêtre fermée sur le jardin ; en contrechamp, Kenichi détourne son regard, chipote dans son assiette, face à sa femme. Ce premier plan exprime son sentiment d’enfermement, renforcé par l’exiguïté de l’espace occupé par la table triangulaire du dîner. L’ambiance lourde est palpable ; Renko, leur fille, le morigène sur sa manière de se nourrir et finit par mettre les pieds dans le plat en leur balançant : "Le repas du soir est un moment de joie et de partage". La famille Urushiba a volé en éclats. Kenichi va quitter le domicile familial, et Nazuna, la mère, semble résignée. Renko dans sa chambre ne parvient pas à s’endormir et d’un bond aussi soudain qu’imprévu fait le poirier : le monde à l’envers.


 


 

Projetée hors d’une enfance heureuse dans un présent insupportable - "Rendez-moi ma vie d’avant", dit-elle -, elle observe impuissante ses parents, enfermés dans leur ego et inconscients de sa souffrance et de ce qui lui passe par la tête. Le film progresse selon la trajectoire imprévisible de Renko. La dérobade est sa seule liberté d’action, zigzaguer en vélo ou courir. Mue par une énergie vitale, elle court pour sauter dans la camionnette du déménagement, qui acte la séparation. Pour couper court au triste récit de l’amie du collège, elle aussi fille de divorcés, elle s’échappe en courant sous la pluie d’orage.


 


 

Elle tient tête aussi à sa mère qui lui impose un contrat de vie commune, postulant un nouveau départ. En cours de chimie alors que des chipies l’accusent d’être amie avec la peste de la classe (la fille de parents "anormaux" divorcés), elle leur tient tête en les menaçant et provoque un début d’incendie. Elle traverse la cour en détalant pour échapper à sa mère - que le collège a fait venir -, et au professeur de chimie, qu’elle laisse cloués sur le trottoir en sautant dans un bus. La course-poursuite avec sa mère continue à la maison, Renko s’enferme dans la salle de bains. Kenichi appelé à la rescousse arrive avec un jeune couple ami Yukio et Wako. On entend les griefs de Nazuna sur le mariage, le déni de Kenichi.


 


 

Shinji Sômai filme les corps qui luttent ou s’interposent dans l’espace étroit du couloir de manière magistrale, jusqu’au moment où Nazuna, hors d’elle, brise la vitre de la porte éclaboussant les murs de sang. Il s’attarde sur le visage de Renko en larmes qui s’est réfugiée dans les toilettes, celui de Nazuna accablée, défaite, en contrebas Kenichi prostré. Derrière Nazuna, dans la cuisine, Yukio et Wako éprouvés. La scène est emblématique du cinéma de Shinji Sômai : capter les émotions, inscrire dans la durée l’évolution des sentiments, observer les personnages en mouvement dans l’espace, où apparaissent les liens.


 


 

La fête de Daimonji à Kyoto réunit le trio familial apaisé le temps d’une soirée, et fait naître chez Renko l’idée d’un voyage avec sa mère au lac Biwa, où se déroule une grande fête traditionnelle de feux d’artifices. Une fois de plus, elle s’échappe seule. L’espace d’une nuit entre rêve et réalité, elle va se métamorphoser, "grandir" comme elle l’a promis à sa mère. Après avoir cheminé seule dans la forêt, elle atteint les rives du lac. Apparaît un bateau dragon fantasmagorique en flammes tiré par des hommes, elle entre dans l’eau attirée par les fantômes de Nazuna, de Kenichi et de son double.


 


 

Cette séquence superbe fut improvisée au tournage, elle n’était pas dans le roman de Hiro Tanaka dont le film est adapté. Réconciliée avec elle-même, Renko retrouve sa mère et des relations pacifiés au collège.
Déménagement repose sur l’interprétation de Tomoko Tabata, âgée de treize ans au moment du tournage. Son regard, sa voix, ses expressions donnent une densité aux sentiments contrastés et changeants de Renko.

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "Je suis convaincu qu’au même titre que d’autres cinéastes de sa génération comme Edward Yang, Hou Hsiao-hsien ou Takeshi Kitano, le nom de Shinji Sômai mérite aujourd’hui, plus que jamais, d’être redécouvert", dit Hirokazu Kore-eda.


Déménagement (Ohikkoshi). Réal : Shinji Sômai ; sc : Satoko Okudera & Satoshi Ogonoki, d’après le roman de Hiko Tanaka ; ph : Toyomichi Kurita ; mont : Yoshiyuki Okuhara ; mu : Shigeaki Saegusa ; cost : Kumiko Ogawa. Int : Tomoko Tabata, Junko Sakurada, Kiichi Nakai, Kôji Yamamoto (Japon, 1993, 124 mn). Restauration 4K supervisée par Toyomichi Kurita, 2023.



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