Sur quatre films majeurs de Romero, et quelques avatars
par Jérôme Fabre
Jeune Cinéma n°298-299, automne 2005
La Nuit des morts-vivants (1968) ; Zombie (1978) ; Le Jour des morts-vivants (1985) ; Le Territoire des morts (2005).
Vient de sortir sur les écrans, dans une indifférence critique (hors magazines spécialisés) fort courtoise, le Land of the Dead de George A. Romero, dernier volet d’une tétralogie consacrée aux zombies qui s’étale sur une petite quarantaine d’années et composée autrement de La Nuit des morts-vivants (1968), Zombie (1978) et Le Jour des morts-vivants (1985) (1).
À cette occasion, retour sur le cinéaste et sur quatre films majeurs au sein d’un sous-genre du cinéma d’horreur longtemps ignoré et souvent incompris.
George Andrew Romero naît le 4 février 1940 dans le Bronx, pour partir bientôt à Pittsburgh, ville-partenaire cinématographique (à l’instar d’une Baltimore pour John Waters) qu’il ne quittera jamais plus et qui servira de toile de fond à plusieurs de ses films.
Il est nourri au cinéma fantastique et aux contes macabres des bandes dessinées "EC Comics" (2), et sa passion précoce pour les images lui fait réaliser de nombreux courts métrages dès l’adolescence et l’amènera, aux termes d’études d’arts et de design, à fonder une société de production, "Latent Image", centrée sur les films publicitaires, les films industriels, les films de propagande et les documentaires.
C’est en compagnie d’amis et associés au sein de Latent Image, ainsi que de quelques partenaires extérieurs que Romero fonde Image Ten pour la production de La Nuit des morts-vivants (pour la genèse de cette œuvre, voir ci-après).
Suite au succès de ce film, le réalisateur n’embraye bizarrement pas ni sur une sequel, ni sur une des multiples autres propositions qui tombent sur son bureau.
Plutôt, il continue dans la publicité et le reportage sportif avant de finalement faire son retour au cinéma avec There’s Always Vanilla (1972), petite guimauve aujourd’hui oubliée.
Suivront, avant que Romero ne donne une seconde chance à ses zombies, Season of the Witch (1973), histoire de sorcellerie domestique tout à fait ratée dans l’esprit de Adorable voisine, The Crazies La Nuit des fous vivants en français…(1973), que l’on peut également assimiler aux films de zombies), histoire d’épidémie bactériologique, et enfin Martin (1977), variation sur le thème du vampire souvent considérée comme le meilleur film de Romero hors tétralogie, et première collaboration du réalisateur avec le spécialiste des effets spéciaux et futur réalisateur du remake de La Nuit des morts-vivants, Tom Savini (1990).
Suite au succès commercial de son Zombie coproduit par Dario Argento, Romero enchaîne sur son projet le plus personnel et son film préféré (pas le nôtre !), Knightriders (1981), objet étrange avec Ed Harris et Tom Savini assaisonnant le monde des bikers à la sauce "Chevaliers de la Table Ronde", puis avec un Creepshow (1982) bas en couleurs, avant de resservir la soupe aux morts-vivants, en 1985, avec Le Jour des morts-vivants, gros échec pour un film d’horreur trop sérieux dans une époque nourrie aux parodies farcesques : Re-Animator de Stuart Gordon (1985), Street Trash de Jim Muro (1986) ou Le Retour des morts-vivants de Dan O’Bannon (1984) par exemple).
La suite de la carrière de Romero jusqu’à son Land of the Dead sera hautement erratique, le réalisateur enchaînant à distance de purs petits produits fantastiques plus ou moins bien ourlés, Incidents de parcours (1988), au scénario terrifiant mais à la réalisation trop lâche, Deux yeux maléfiques (1990), film à sketchs très plat d’après Edgar Allan Poe, qui marque ses retrouvailles avec Dario Argento, et enfin La Part des ténèbres (1993), adaptation décevante d’un roman de Stephen King.
Après une longue éclipse, le réalisateur fait un retour catastrophique avec Bruiser (2000), projet pourtant ambitieux et fascinant sur le papier de variation sur Les Yeux sans visage de Franju.
Les projets de Romero aujourd’hui ? [en 2005]
Remis en selle par le succès de Land of the Dead, le réalisateur clame de nombreux projets, dont un nouveau film de zombies, Diamond Dead, un film anthropophage, The Ill, et une nouvelle adaptation d’un roman de Stephen King, The Girl Who Loved Tom Gordon.
Avec seulement quatorze longs métrages en presque quarante ans de carrière, Romero n’est pas ce que l’on appelle un auteur prolifique. Son parcours est jalonné d’occasions manquées et de projets avortés. Il est impossible de répertorier les films qu’il aurait pu ou dû tourner s’il s’était montré plus docile envers ses producteurs ou s’il s’était mieux fondu dans le gotha hollywoodien.
On peut néanmoins citer Simetierre finalement confié à Mary Lambert (1989), Resident Evil réalisé au bout du compte par Paul Anderson (2002), ou encore une nouvelle Guerre des mondes et une adaptation du Fléau de Stephen King.
Personnage cultivé, bien au-delà de la culture fantastique ou cinématographique, intéressant et intègre, artisan assez individualiste et misanthrope, George Romero n’a jamais navigué avec aisance dans le milieu du cinéma.
Il semble également souffrir de pas mal d’atermoiements dans ses choix et décisions, résigné trop facilement, il promène en bandoulière son goût du travail bien fait pour sombrer parfois de façon inexplicable dans la plus insane facilité lorsqu’il prend finalement les commandes d’un projet.
De façon générale, pour des raisons de contraintes de production ou autres, les films de Romero sont quasiment toujours beaucoup plus alléchants sur le papier qu’ils ne fascinent effectivement à l’écran.
En fait, en dehors de ses films de morts-vivants, Romero n’a jamais réussi à obtenir de véritable reconnaissance, ni de la critique, ni du public, et cela ne peut malheureusement pas être considéré comme une injustice majeure au regard du travail effectivement réalisé.
C’est un peu comme s’il n’avait pu s’épanouir et donner la mesure de ses capacités de bon artisan qu’au sein d’un sous-genre unique, le film de zombies, un peu comme son ami Argento avec le giallo.
Dès lors, et au seul motif de cette trilogie, son nom et sa réputation résonnent bien plus fort que ce que son œuvre ne justifie.
Cela dit, nul ne peut nier que les zombies, c’est lui qui les a faits tels qu’ils sont aujourd’hui.
Le zombie est-il nécessairement cannibale ?
Le "zombie" (3) est-il cette être hideux au teint cadavérique qui dévore les humains dans un grand magasin ?
Ce serait se placer loin des origines du mort-vivant que de confondre ce dernier avec l’imagerie popularisée par Romero. Pour revenir aux origines du zombie, il faut en fait se replonger dans les racines du culte Vaudou.
Plus qu’une croyance ou qu’une quelconque pratique de rites éparses, le Vaudou est une religion à part entière, dont les origines se retrouvent en Afrique et plus particulièrement au Bénin.
Avec l’esclavage, cette croyance a émigré jusqu’à la terre qui lui est aujourd’hui symboliquement associée, Haïti.
Religion polythéiste mêlant plusieurs divinités de cultes différents (Fon, Yorouba et Dahoméens pour ne citer qu’eux), le Vaudou est composé de très riches variations, dont la facette la plus avérée et la plus médiatisée reste sans doute la "macumba" : la magie noire du Vaudou.
Basé sur une généalogie de divinités, le Vaudou en tant que tel comprend également une série de rites destinés à célébrer et honorer les "Loas", les représentations des dieux concernés. Dieux, mais aussi esprits ou génies. De tout le panthéon vaudou, la figure la plus connue reste bien sûr le fameux "Baron Samedi", dieu de la mort et des cimetières, parfois comparé à Satan.
Le zombie, dont la nature fut révélée par l’ethnobotaniste Wade Davis, est au sens premier un homme drogué au moyen d’une poudre et réduit en esclavage par un "houngan", un prêtre vaudou. La poudre utilisée, mélange composé en particulier de tétrodotoxine, poison entraînant une paralysie quasi-totale, a pour double effet d’anéantir toute volonté et de donner l’apparence de la mort. Les pratiques vaudou subsistent aujourd’hui, essentiellement en Haïti, mais aussi au Bénin, en Louisiane, à Saint-Domingue et dans les Caraïbes.
De fait, les premiers films de zombies, et en particulier White Zombie ou Vaudou, que nous évoquerons plus loin, s’inscrivent totalement dans le cadre de la magie noire vaudou, dont ils reprennent les constantes.
Ce n’est qu’en 1968, avec La Nuit des morts-vivants, que le zombie reviendra d’entre les morts, et pour des raisons complètement étrangères à ce culte, affublé d’une nouvelle et désagréable habitude, celle de se nourrir de chair humaine (4).
D’ailleurs, dans ce film, les zombies ne sont pas dénommés comme tels mais seulement comme ghouls et flesh eaters.
Après cette date et sauf rares exceptions - dont le notable L’Emprise des ténèbres de Wes Craven (1988)-, le zombie tel qu’animé à l’écran ne revêtira plus ce statut de victime tragique de sorcellerie vaudou.
Histoire d’un sous-genre mal aimé
La Nuit des morts-vivants et son déploiement de zombies souffre très peu d’antécédents et une armée limitée de successeurs.
Sous-genre laissé pour compte par les confréries du fantastique, le film de zombie a de tous temps et malgré quelques soubresauts - généralement engendrés par les différents opus de la tétralogie - été le parent pauvre de la famille Monstre et confiné à des productions B ou Z.
Si l’on prend le terme "zombie" dans son acception large d’humain de retour du royaume des ombres, on peut remonter au Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene (1919) ainsi qu’au Frankenstein de James Whale (1931) pour voir les premières créatures revenues d’entre les morts sous la magie d’un maître fou pour terroriser les vrais vivants.
En fait, les zombies, contrairement à la plupart des autres "bêtes" du cinéma fantastique, n’ont que peu de racines littéraires. Il convient néanmoins de noter l’étude parue en 1929, The Magic Island de William B. Seabrook, qui fit forte impression à l’époque, introduisit le terme "zombie" dans le langage populaire, et inspira, dès 1932, une production théâtrale new-yorkaise, Zombie.
Capitalisant sur l’intérêt subitement suscité par cette créature nouvelle, les frères Halperin produirent et dirigèrent cette même année leur fameux White Zombie, bientôt suivi par Revolt of the Zombies (1936).
Empruntant les décors, l’équipe technique et les acteurs des studios Universal, ce White Zombie fauché avec un Lugosi à la tête d’un bataillon de zombies haïtiens, qu’il a fait revenir d’entre les morts à l’aide d’une drogue et qu’il dirige de son regard perçant, est véritablement le précurseur du sous-genre.
Les zombies apparaîtront également dans des productions B ou Z assez inégales, réalisées par des cinéastes tels que William Beaudine avec Voodoo Man, (1944), ou Edward L. Cahn, avec Invisible Invaders (1959), dont les corps-cadavres blafards annoncent déjà La Nuit des morts-vivants.
Mais c’est Jacques Tourneur, fondu de sorcellerie, qui donnera ses premières lettres de noblesse aux zombies avec son Vaudou (1941), production Val Lewton transposant Jane Eyre dans les Caraïbes, dans la plus pure mouvance du zombie haïtien.
Une autre œuvre d’une importance majeure pour le sous-genre zombie, et qui a certainement influencé Romero est L’Invasion des morts-vivants (1966) de John Gilling, production Hammer léchée, où les zombies sont de pauvres villageois rendus à cette condition afin d’être exploités comme esclaves.
Se formalisent définitivement dans ce film la démarche raide et l’état de putréfaction de ces cadavres revenus à la vie.
Il faut également noter Last Man on Earth (1964) de Ubaldo Ragona & Sidney Salkow avec Vincent Price, adaptation du roman Je suis une légende de Richard Matheson, qui inspirera fortement La Nuit des morts-vivants.
De façon générale, dans ces films, le zombie est un esclave, une victime sous l’emprise d’un maître fou, souvent transformé en soldat forcé à la conquête du monde : Revolt of the Zombies, King of the Zombies de Jean Yarbrough (1941) ou Revenge of the Zombies de Steve Sekely (1943).
Romero affirme que c’est à la vision de White Zombie qu’il se posa la question qui allait fonder sa tétralogie à venir : "Et si les zombies étaient incontrôlables ?".
Le zombie "autonome" et donc cannibale (ne demandez pas une quelconque explication sur la relation de cause à effet, mais les faits sont là, le mort-vivant incontrôlable s’avère cannibale), c’est donc Romero qui l’inventera, en en faisant une créature mue par les seuls sentiments de haine et de destruction, fonctionnant au sang et à l’agressivité.
C’est également lui qui mettra au point le moyen de les supprimer : détruire leur cerveau d’une façon ou d’une autre.
S’il est donc des exemples de films de morts-vivants avant l’œuvre de Romero, ceux-ci sont peu nombreux, particulièrement pendant les années 60 et, lorsque débarque La Nuit des morts-vivants, et mises à part quelques productions Hammer et quelques nanars Z sauce Ed Wood comme Night of the Ghouls (1959) et Orgy of the Dead (1965), le zombie est totalement tombé en désuétude.
En fait, ainsi que nous le verrons ci-après, le premier film de Romero n’entraînera dans son sillage que quelques avatars et il faudra attendre Zombie pour que le sous-genre décolle véritablement.
Qu’est-ce qui fait que le zombie est l’un des monstres les moins aimés et sollicités ?
"Les zombies sont des cons" affirme Jess Franco, qui sait de quoi il parle puisqu’il leur consacra l’un de ses plus mauvais films, L’Abîme des morts-vivants (1981).
Il semble en tout cas que le cinéma fantastique lui préfère largement l’aristocratique, pervers, séduisant et romantique Dracula, la torturée et ambivalent créature de Frankenstein, le cruel et schizophrène Loup-garou, les étranges et effrayants fantômes, ou carrément les monstres et "aliens" en provenance des Autres Mondes.
En fait, le zombie souffre d’abord, à l’opposé des autres entités du bestiaire fantastique de n’être qu’un humain à qui l’on a retranché quelque chose, en l’occurrence ses capacités cérébrales (soit suite à un rite vaudou, à une contamination quelconque ou à leur trépassement, la résurrection semblant redonner partiellement vie au corps mais non à l’âme ni à l’intelligence).
C’est en quelque sorte seulement un humain en moins bien, aux performances physiques et mentales limitées, plus vraiment de ce Monde, pas non plus d’un Autre Monde.
La véritable naissance des zombies "flicks"
La Nuit des morts-vivants est un film-culte, c’est comme cela que l’on entend tout film vénéré par un certain nombre de personnes, petit ou grand.
Appartenant aujourd’hui à la collection permanente du Musée d’art moderne de New York, le film est passé de la planète "exploitation" aux encyclopédies lettrées.
Il est, comme la plupart des films-cultes au budget riquiqui aujourd’hui partie du patrimoine, le fruit du hasard, de la chance, de beaucoup de persévérance et d’inconscience de la part de ses auteurs, mais aussi l’objet d’interprétations et d’exégèses délirantes, en décalage absurde avec les simples soucis d’efficacité et de divertir qui ont présidé à son élaboration.
Ses auteurs, car il est le résultat, à l’image de tous ces films fantastiques bidouillés jusqu’au succès planétaire - Bad Taste de Peter Jackson, Evil Dead de Sam Raimi - , d’un travail collectif, en sont la bande de potes ayant fondé Latent Image, qui mettent au pot (114.000 dollars au total) en compagnie d’un président d’une chaîne de télé locale et de sa femme pour créer une structure entièrement dédiée au film, Image Ten.
Tous apparaîtront également comme acteurs et/ou membres de l’équipe technique.
Le choix du genre ne tient pas tant au goût de Romero qu’à un raisonnement purement économique, un petit film d’horreur ayant plus de chances, par exemple en le diffusant dans les drive-in de la région, de rapporter la mise (sinon mieux) qu’un petit film art et essai.
De même, opter pour les morts-vivants sur fond noir et blanc signifie peu de maquillages et d’effets spéciaux (ceux-ci se résumant essentiellement à des tripes et boyaux de moutons gonflés d’eau et à quelques barils de poudre).
La Nuit des morts-vivants est largement inspirée du chef-d’œuvre littéraire de Richard Matheson, Je suis une légende, souvent adapté au cinéma, en 1964 donc sous le titre Last Man on Earth (scénarisé par Matheson lui-même), puis, en 1971, par Boris Sagal : Le Survivant, avec Charlton Heston et Rosalind Cash).
Le premier script de Romero, Anubis, est bientôt réécrit par le cinéaste et son compère John Russo, les deux hommes se disputant aujourd’hui encore la paternité de l’histoire finale (5).
La suite est connue, cette histoire d’un groupe de survivants se réfugiant dans une maison abandonnée et résistant à la levée impromptue et importune d’une armée de morts-vivants cannibales (à partir du postulat fantaisiste que le mort ne cesse d’être mort que pour se nourrir de vivants), se soldera par un joli succès commercial en dépit des railleries, sinon de l’écœurement, de la critique.
Les droits étant, suite à une erreur juridique, vite tombés dans le domaine public, le film générera nombre de franchises et, pire, de travestissements (la version caviardée de Russo, la version colorisée de Gaumont Columbia également pour le trentième anniversaire), mais aussi un remake honnête et respectueux de Tom Savini La Nuit des morts-vivants (1990).
Au-delà de la dette avouée à l’égard des EC Comics, le style de La Nuit des morts-vivants doit beaucoup aux films fantastiques Universal des années 30 et en particulier aux Frankenstein (6).
Loin de l’expressionnisme du Cabinet du Docteur Caligari par exemple, le noir et blanc des films de James Whale, plus lisse, plus doux, plus opaque, moins contrasté sans perdre pour autant de sa profondeur et de son pouvoir d’évocation, est imité par Romero. Bien entendu, moyens obligent, l’image chez Romero se fait pauvre, sale, légèrement floue et confuse, ce qui ajoute certainement à l’angoisse générée par le film.
Les productions Val Lewton pour l’image, The Thing de Howard Hawks & Christian Nyby (1951) et Les Oiseaux de Hitchcock (1963) pour la thématique de l’enfermement contre l’adversité extérieure, ont également servi de ferment à l’imaginaire du réalisateur.
Enfin, on ne peut pas ne pas inscrire La Nuit des morts-vivants dans la lignée des premiers films gore, et particulièrement comme rejeton de leur Saint-Père à tous, le Blood Feast (1963) de Herschell Gordon Lewis (7).
Si Romero s’en différencie par une certaine sobriété d’ensemble, le gore ne constituant jamais une fin en soi, il s’en rapproche par son minimalisme agrémenté de tripailles et effets chocs (la petite fille qui tue sa mère d’un coup de truelle dans le thorax). Représentant des scènes de cannibalisme pour la première fois, le film a, à l’époque, beaucoup choqué.
Coproduit par Dario Argento, Zombie est le meilleur film de George Romero, cinématographiquement parlant.
Si la trame reste à peu près la même, les survivants étant cette fois retranchés dans un centre commercial, les choix esthétiques du réalisateur n’ont jamais été aussi pertinents.
D’un réalisme extrême - la lumière crue et l’image brute aidant - dans une surenchère d’effets gore hypnotiques, mené à un train d’enfer et impeccablement mis en scène, Zombie ressemble à son pire cauchemar, et quiconque l’a vu ne peut plus se promener dans une galerie commerciale ou un hypermarché après la tombée de la nuit sans voir apparaître un zombie au détour d’une tête de gondole.
Il convient de noter que le film existe en trois versions.
La version européenne, concoctée par Argento, est légèrement plus courte (neuf minutes en moins), plus intense, et moins subtile en ce qui concerne les personnages. L’omniprésence de la partition musicale des Goblin exacerbe plus encore l’agressivité du film. La version distribuée aux États-Unis a coupé dans la musique et apaisé le rythme. Elle fait également une part plus belle à l’humour et aux personnages. Nous n’avons pas vu le director’s cut, plus long de douze minutes que ce dernier montage.
À comparer, Le Jour des morts-vivants fait un peu pâle figure.
Malgré des ambitions revues à la baisse faute de moyens nécessaires et d’incessants soucis de tournage, le film veut trop embrasser (les morts-vivants règnent sur la Floride, à l’abri un groupe de scientifique cohabite avec les militaires) : rivalité science - armée, finalité de la science (certains scientifiques se livrent à d’atroces expériences sur les morts vivants), traitement de l’ennemi, etc. Si bien que le film étreint bien mal ses zombies, ou plutôt ne leur ajoute rien.
En sus, et presque paradoxalement parfois, s’affirme la volonté de Romero de faire un film plus intimiste, plus discursif, d’où une certaine mollesse dans un produit promis à la trépidation. Et si la mise en scène est toujours rigoureuse et l’esthétique Zombie adaptée, l’effet de surprise n’a plus lieu.
Si Land of the Dead bénéficie lui d’un matelas de fonds propres beaucoup plus confortable, il souffre de sérieux déséquilibres y afférents.
En particulier, les trois premiers films tiraient leur force de l’anonymat quasi-total des comédiens au demeurant excellents, ce qui donnait à l’entreprise, en l’absence de toute distanciation, la crédibilité et les possibilités d’empathie nécessaires au fonctionnement d’un film d’horreur.
Ici, la présence de Dennis Hopper en facho fou et incontrôlable est largement pléonastique, l’acteur n’étant depuis longtemps qu’en représentation de lui-même.
De même l’insupportable Asia Argento traîne sa dégaine d’icône underground pour revue branchouille comme si elle arpentait un plateau de télé.
De plus, le scope flamboyant et léché cadre mal avec un monde censément apocalyptique.
Par ailleurs, en l’absence d’innovation narrative, l’effet de répétition se fait maintenant réellement sentir : les morts-vivants dominent aujourd’hui le monde et les humains sont réfugiés dans une forteresse, etc.
Certes, on ne boude pas son plaisir de retrouver nos vieux amis les zombies, embellis par des maquillages très réussis, et le film est à des années-lumière de la plupart des films d’horreur contemporains.
On espérait pourtant plus et plus neuf de la part de Mister George.
Une flopée d’exégètes tous plus malins les uns que les autres a eu tôt fait (et persiste encore aujourd’hui, voir le numéro des Cahiers du Cinéma de septembre 2005) de brandir La Nuit des morts-vivants comme étendard d’un certain mouvement contestataire (de gauche, on suppose).
De manière générale, pour la critique auto-proclamée "intellectuelle", le film d’horreur n’a le droit à une quelconque reconnaissance que s’il est politique.
Pour ces gens là, tout étant politique ou presque, il est facile d’habiller quiconque a la chance de trouver grâce à leurs yeux (pour des raisons objectives restant à jamais non identifiées) d’un habit de gauchiste révolutionnaire. La Nuit des morts-vivants représenterait, dixit les Cahiers ainsi "la fièvre insurrectionnelle en plein Vietnam" ! Ben voyons…
De même, le fait que le héros du film soit incarné par un noir tué par les humains à la fin, aurait une profonde résonance sociale… Or Romero a toujours nié avoir voulu réaliser une fable politique et sociale. En particulier, l’acteur noir a été choisi parce qu’il était le meilleur à l’audition, et ce n’est pas de la faute de Romero si le film est sorti quelques mois seulement après l’assassinat de Martin Luther King.
La dimension politique a été resservie pour Zombie (grande critique de la société de consommation…), pour Le Jour des morts-vivants (qui, pour le coup, affiche une certaine ambition dans ce domaine), et évidemment pour Land of the Dead, nécessairement film post-11 septembre. Cf. les Cahiers encore : "Son absurde cité bunkarisée (sic) évoque autant Bagdad que New York, autant la peur en terrain occupé que le délire sécuritaire post-11 septembre". Doit-on en déduire que New York 1997 de John Carpenter, réalisé en 1981 mais qui aborde les mêmes thèmes, est un film post-11 septembre ?. On est fasciné par le nombre de films censément "post-11 septembre", en référence à un non-événement absolu qui marquerait pourtant et mystérieusement, pour beaucoup, un avant et un après dans l’Histoire du cinéma.
En fait, si Romero a pour lui de traiter ses zombies avec sérieux, évitant les parodies ou les mises en abyme malheureuses, la politique ne l’intéresse guère.
Ce qui intéresse vraiment Romero, plus ethnologue que politique, ce sont les rapports au sein du groupe (c’est son côté "hawksien" si l’on peut dire), les relations conflictuelles des humains face à l’adversité, l’étude de leurs peurs, de leur comportement et la gradation de ce dernier du rationnel à l’irrationnel. Il fait montre pour cela d’un apsychologisme total, se concentrant, comme dans tout bon film, sur le comportement et l’action.
Un bon film, n’est-ce pas simplement, comme le disait le Père Ford, "trois ingrédients : une bonne histoire, une bonne histoire, et une bonne histoire" ?
Le succès des films de zombies "à la Romero" a donné lieu, directement par de purs copycats ou indirectement par effet de mode, à un certains nombres d’avatars.
Pourtant, la machine zombie n’embraye, dans un premier temps, pas très vite et La Nuit des morts-vivants n’entraîne dans son sillage que de timides réactions.
Les Anglais continuent à réveiller parcimonieusement quelques morts : Un épisode de Histoires d’outre-tombe par un vétéran de la Hammer, Freddie Francis (1972), Le Cercueil vivant de Gordon Hessler (1969), auxquels on peut associer les multiples Frankenstein.
C’est surtout le cinéma hispanique qui prend à bras le corps le nouveau phénomène. Transformant le zombie basique en mort-vivant Templier, le cinéaste espagnol Amando de Ossorio commet une série assez crade sur ce thème : La Révolte des morts-vivants (1971), Le Retour des morts-vivants (1973), Le Monde des morts-vivants (1975), La Chevauchée des morts-vivants (1975) - où des Templiers hérétiques et sacrilèges sortent de leurs tombeaux pour se venger des villageois qui, plusieurs siècles auparavant, sont parvenus à se libérer des exactions qu’ils commettaient - rencontreront un fort succès en dépit de leur peu d’intérêt, suivis par une armée mexicaine dans la même mouvance.
La meilleure pièce de cette branche du cinéma hispanique restera certainement Le Massacre des morts-vivants (1974) de Jorge Grau.
Aux États-unis, peu de dérivés notables, si ce ne sont le flippant Commando des morts-vivants (retour du zombie soldat, dirigé par un Commandant SS, et accessoirement par Ken Wiederhorn, 1977) et surtout les films de Bob Clark, Children Shouldn’t Play With Dead Things (1972) et Le Mort-vivant (1974), premier (et très beau) film américain critique sur la guerre du Vietnam, alors que cette dernière vient juste de s’achever, où un soldat US mort au combat revient sous forme de zombie-victime suicidaire.
C’est dans les années suivant Zombie que se déploiera le phénomène de mode "zombies", notamment chez les Italiens qui ont pris de plein fouet la version concoctée par Dario Argento, et s’engouffrent dès lors dans la brèche. On imite jusqu’à l’écœurement une recette qui gagne, telle fut trop souvent, pendant ses trente glorieuses, la devise du cinéma d’exploitation italien, recyclant avec plus ou moins de bonheur tous succès ayant fleuri quelque part sur la planète.
Alors, et souvent en mauvais copistes au gros trait, les émules transalpins vont, de 1978 au milieu des années 80, inonder le marché de morts-vivants façon Zombie dans une surenchère gore difficilement soutenable.
On y retrouve les pires tâcherons tels que Bruno Mattei avec Virus cannibale (1981), qui plaque la musique composée pour Zombie sur de nouvelles images ! ; Zombie 3 (1988)), ben voyons pourquoi se forcer à trouver un titre…), ou Franck Agrama avec L’Aube des zombies (1981).
On y trouve aussi de meilleurs faiseurs, Lucio Fulci avec le très sadique L’Enfer des zombies, également titré Zombie 2 (1979) - ben voyons pourquoi, etc. - et L’Au-delà (1981) ; Umberto Lenzi avec L’Avion de l’apocalypse (1980) ; ou Marino Girolami avec Zombie Holocaust (1980, titré lui aussi Zombie 3 aux États-Unis !) entre autres.
Plus que Le Jour des morts-vivants, échec commercial, c’est l’incroyable Evil Dead (1982) de Sam Raimi (qui réalisera lui-même les deux sequels, Evil Dead 2 (1987) et Evil Dead 3 (1993)), fantaisie horrifique, drôle et passionnante sur les clichés du sous-genre, qui va maintenir la flamme des zombies plus avant dans les années 80, années de toutes les outrances caricaturales.
Cela donnera lieu à de vraies réussites : Re-Animator de Stuart Gordon d’après Lovecraft (1985), Le Retour des morts-vivants de Dan O’Bannon (1984) - qui sera suivi par Le Retour des morts-vivants 2 de notre vieille connaissance Ken Wiederhorn (1987)).
Et à d’ineffables nanars transalpins : Démons (1985), Démons 2 (1986), tous deux de Lamberto Bava, ou américains : Raiders of the Living Dead de Samuel M. Sherman (1986), Zombie Nightmare de Jack Bravman (1986), Redneck Zombies de Pericles Lewnes (1987).
Il faut noter que les zombies sont également à l’œuvre dans le formidable clip vidéo réalisé par John Landis pour le Thriller de Michael Jackson (1983).
On ne peut enfin passer sous silence le meilleur film de Wes Craven, qui pour le coup revient aux sources du mort-vivant victime de rites vaudous avec L’Emprise des ténèbres, située en Haïti (1988).
Les années 90 et avec elles le déclin du cinéma d’horreur laissent un peu le mort-vivant sur la touche.
Si les réussites des années 80 donnent encore des petits : Evil Dead 3, Re-Animator 2 (1990) et Le Retour des morts-vivants 3 (1992), tous deux de Brian Yuzna, ancien peintre abstrait, réalisateur talentueux surtout dans Le Retour…, conte romantique et dégénéré, adaptation post-moderne et touchante de Roméo et Juliette, les zombies demeurent confinés au Z de leurs origines (cf. le Les morts haïssent les vivants de Dave Parker (1999) pour s’en convaincre).
La décennie n’est pourtant pas exempte en réussites aux deux bouts du monde, avec notamment l’avènement d’un kiwi bricoleur de génie, qui a fait du chemin depuis, Peter Jackson, qui réalise en 1992 le saignant et délirant Braindead.
Et c’est l’Italie qui voit apparaître un authentique chef-d’œuvre poétique, Dellamorte Dellamore de Michele Soavi (1994), avec Rupert Everett.
Les années 2000 enfin ont vu un regain d’intérêt pour l’œuvre de Romero, depuis les énièmes suites et remakes : L’Armée des morts de Zack Snyder (2004), remake de Zombie, Le Jour des morts-vivants 2 de Ana Clavell & James Dudelson (2005, DTV), qui détiennent les droits du Jour des morts-vivants et envisagent d’en faire un remake en 2006 (8), jusqu’à l’avènement des grosses productions horrifiques qui ratissent large, jusqu’aux zombies eux-mêmes ( Resident Evil de Paul W. S. Anderson (2002), 28 jours plus tard de Danny Boyle (2002).
Aujourd’hui, porté par ces grosses productions, le retour triomphant de Romero ainsi que par une armée de productions plus petites, le zombie a le vent en poupe (on parle même d’une incursion de Tobe Hooper dans le domaine et de deux nouvelles suites au Retour des morts-vivants).
Pour le pire, la plupart du temps.
Car, si l’on excepte Romero, quelques mavericks talentueux et le récent et jouissif Shaun of the Dead de Simon Pegg & Edgar Wright (2005), force est de remarquer que peu nombreux sont les réalisateurs de talent qui se sont emparés du mort-vivant.
Les zombies sont-ils toujours aussi cons ?
Cela fait plus de soixante-dix ans que le zombie existe, et presque quarante qu’il est cannibale.
Il n’a pas beaucoup changé, sinon de budget dans les années 2000. Il a rarement eu la chance de croiser un réalisateur digne de ce nom. Il continue d’être un sous-homme gauche et décérébré, l’œil hagard, au mieux victime, au pire ennemi à abattre. Comme toute créature méprisée, il ne mérite pas un grand film.
Même Romero, qui lui a offert ses plus belles pages, ne semble plus croire en lui.
Loin de renouveller un sous-genre qu’il a, à lui seul, régénéré dans les années soixante, le réalisateur, dans Land of the Dead, paraphe au contraire, en 2005, un constat d’échec.
En reléguant les zombies à l’arrière plan de son dernier film, menace secondaire dans l’ombre de la folie des hommes, et en se concentrant principalement sur le microcosme des survivants au sang chaud, Romero, finalement, enterre ses morts-vivants au Royaume des personnages indignes de fictions.
Jérôme Fabre
Jeune Cinéma n°298-299, automne 2005
1. À ce jour, La Nuit des morts-vivants est disponible en zone 2 chez Ciné FX / Neo Publishing dans une version correcte, et surtout chez Elite (Night of the Living Dead Millenium Edition, toutes zones), qui constitue l’édition de référence.
À éviter à tout prix la version colorisée éditée par Gaumont Columbia TriStar Home Vidéo / Élysées Éditions, ainsi que la version "30ème anniversaire" parue chez Anchor Bay et agrémentée de nouvelles scènes tournées par John Russo.
Zombie est quant à lui disponible dans une belle copie chez Opening (zone 2) et fait l’objet d’un coffret majestueux incluant les trois montages (version américaine, version européenne et director’s cut) chez Anchor Bay en zone 1 et anglais uniquement.
Le Jour des morts-vivants n’est disponible qu’en zone 1 chez Anchor Bay.
2. EC Comics commença à publier des horror comics dans les années 50. Les titres de cette collection, Les Contes de la crypte par exemple, se caractérisent par de nombreux effets gore, un humour potache et une certaine satire sociale. Y figuraient souvent des morts-vivants ainsi que des protagonistes d’origines ethniques variées, fait assez rare à cette époque pour être noté. Romero rendra un hommage directes à ces bandes dessinées quand il réalisera Creepshow (1982).
3. Pour des questions de simplicité, il sera considéré ici que "zombie" et "mort-vivant" sont des termes équivalents.
4. Il est néanmoins intéressant de noter que, à une certaine époque, les rites vaudou autorisait le cannibalisme.
5. John Russo tentera même de marquer définitivement le film de son empreinte en remontant, en 1998, une version du film dans laquelle il insère de nouvelles scènes en une innommable purée cinématographique. À noter que Russo est également à l’origine du premier script de la saga du Retour des morts-vivants.
6. De nombreux détails corroborent ce rapprochement évident : Johnny s’amuse, au début du film, à taquiner Barbara en imitant la voix de Boris Karloff. Par ailleurs, il est impossible de ne pas associer la démarche roide et mécanique des morts-vivants de Romero à celle de Karloff dans Frankenstein.
7. Le cinéma gore peut être défini, dixit Philippe Rouyer, comme "un sous-genre de l’horreur, qui soumet la thématique du film d’horreur à un traitement formel particulier ; à intervalles plus ou moins réguliers, la ligne dramatique du film gore est interrompue ou prolongée par des scènes ou le sang et la tripe s’écoulent des corps meurtris et mis en pièces" (in Le Cinéma gore, une esthétique du sang, Éditions du Cerf, 1997).
À ce titre, Blood Feast, directement inspiré du Théâtre du Grand-Guignol, multiplie pour la première fois à l’écran les scènes de mutilations, prélèvements d’organes et autres boucheries dans de larges débordements de sang.
8. Creepshow 3 de Ana Clavell & James Dudelson (2006).
* Night of the Living Dead (La Nuit des morts-vivants). Réal : George A. Romero ; sc et mont : G.R. & John A. Russo ; ph : G.R. ; mu : Scott Vladimir Licina. Int : Duane Jones, Judith O’Dea (USA, 1968, 90 mn).
* Dawn of the Dead (Zombie). Réal, sc, mont : George A. Romero ; mu : Goblin (version européenne) et quelques thèmes de la version américaine, Dario Argento ; ph : Michael Gornick. Int : David Emge, Ken Foree, Scott H. Reiniger, Gaylen Ross (USA, 1978, 117 mn).
* Day of the Dead (Le Jour des morts-vivants). Réal, sc : George A. Romero ; mu : John Harrison ; ph : Michael Gornick ; mont : Pasquale Buba ; décors : Cletus Anderson ; costumes : Barbara Anderson. Int : Lori Cardille, Terry Alexander, Joseph Pilato, Jarlath Conroy, Richard Liberty, Sherman Howard (USA, 1985, 102 mn).
* Land of the Dead (Le Territoire des morts). Réal, sc : George A. Romero ; mu : Reinhold Heil & Johnny Klimek ; ph : Miroslaw Baszak ; mont : Michael Doherty ; cost : Alex Kavanagh ; déc : Marlene Puritt. Int : Simon Baker, John Leguizamo, Dennis Hopper, Asia Argento, Robert Joy, Eugene Clark, Joanne Boland, Tony Nappo, Jennifer Baxter (USA, 2005, 102 mn).