Le grand froid, la neige, la glace et une région chinoise au contact de la Corée du Nord. Un film réalisé par un jeune cinéaste singapourien. Autant d’éléments qui ne peuvent que susciter de la curiosité, l’envie de s’immerger dans un univers non balisé, même si au bout du compte certaines influences ne peuvent manquer d’apparaître.

Venu de Shanghai pour un mariage, Hoafeng, un jeune trader, profite de son séjour à Yanji pour se familiariser avec la région. Il visite avec un groupe un parc à thème sur la culture locale et tombe sous le charme de Nana, la jeune guide touristique. Laquelle lui présente son ami cuisinier Xao.

Après une soirée festive bien arrosée, leur relation triangulaire permet à Anthony Chen de revisiter à sa manière, sur le mode de la fantaisie, les élans et hésitations sentimentaux que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de ceux du François Truffaut de Jules et Jim (1962), sans l’arrière-plan tragique. Ici, le climat (le chaud et le froid), le paysage (le haut et le bas), rythment les trajectoires de ces trois personnages qui vivent dans les marges du monde environnant. En cela, le regard du réalisateur sur cette Chine excentrée ouvre la voie à des possibilités narratives et stylistiques intéressantes.

On pense à la séquence d’ouverture avec la machine qui découpe de gros blocs de glace qui serviront à construire un labyrinthe translucide, filmé en plongée. On pense au beau plan-séquence où les trois jeunes se donnent le défi de voler le livre le plus lourd dans une librairie. Anthony Chen dit avoir pensé à Bande à part de Jean-Luc Godard (1964), et sa visite du Louvre au pas de course.

La séquence la plus belle est peut-être celle de leur promenade dans les paysages et forêts enneigées du mont Changbai. Ils gravissent les pentes, dans l’espoir de découvrir un lac magique, en s’enfonçant jusqu’aux genoux dans la neige fraiche. Le temps ne leur permettra pas d’atteindre leur but. Anthony Chen, dans une esthétique inspirée des estampes et aquarelles chinoises, nous gratifie alors d’une vision en surplomb du lac que nos promeneurs n’ont pu atteindre. Au creux des montagnes découpées, la surface brillante des eaux dans une légère brume est un émerveillement.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°423, été 2023

Un hiver à Yanji (Ran dong). Réal, sc : Anthony Chen ; ph : Yu Jing-Pin ; mont : Hoping Chen & Mun Thye-Soo ; mu : Kin Leonn. Int : Zhou Dongyu, Liu Haoran, Qu Chuxiao (Chine, 2023, 100 mn).