À Barton, Mass, une high school privée de haut niveau, les lycéens sont de bonnes familles, et rêvent d’intégrer Cornell (1), un peu comme si ça leur était dû, et pas comme le résultat de leurs efforts. Le professeur de civilisation ancienne, Paul Hunham (Paul Giamatti), se charge, avec délectation, de leur mettre le nez dans leur nullité. L’élève Angus Tully (Dominic Sessa), lui, est au dessus de la mêlée, il est brillant, hautain et silencieux. Ce n’est pas pour autant que le prof le préfère, au contraire peut-être. Celui-ci est laid et revêche, peu apprécié par ses collègues, détesté, à juste titre, par ses élèves, et on a le sentiment qu’il jubile de ce statut et de la solitude qui en découle.

La vie quotidienne est rythmées par le sport, les rivalités entre les garçons, les réunions des enseignants, les punitions. C’est la fin de l’année 1970, on approche des vacances. L’honorable lycée bien pensant rend un hommage au fils de la cuisinière, Mary (Da’Vine Joy Randolph), un soldat tombé au Vietnam.

Après quoi, l’école va se vider. Mais il reste toujours quelques élèves, qui pour une raison ou une autre, ne partent pas. Pour les surveiller, on réquisitionne Paul Hunham le malchanceux sans famille, qui ne s’en étonne qu’à peine. Angus quant à lui, dont le père est donné comme mort, reçoit, au dernier moment, un courrier de sa mère qui lui demande de ne pas venir, pour quelle puisse profiter librement de son nouveau compagnon. Seuls ceux qui ont été internes connaissent la nature de la détresse de ce que personne ne veuille d’eux, à un moment où, tout autour, le monde semble n’être que réjouissance. Le "héros" du film, a priori le prof, devient l’élève, qu’on se met à regarder mieux, et auquel on s’attache vraiment.

Quand tout le monde est parti, les élèves en deux fois, les enseignants et le personnel, ne restent que trois personnes sur le campus désert : le prof désabusé, le lycéen mélancolique, la cuisinière alcoolique. Les barrières, le respect et le règlement vont rapidement être contournés, à travers quelques aventures, une épaule cassée, des dialogues musclés, une invitation à fêter Noël chez une chouette voisine, et surtout, un délicieux petit dégagement à trois à Boston, une escapade parfaitement non-réglementaire. Dans la grande ville, tout va devenir plus compréhensible. Et, si on savait déjà la douleur de Mary la maternelle, on va découvrir les vraies blessures de Angus au cœur d’enfant, et celles de Paul le "paria".

Chez les Américains, l’esprit de Noël est travaillé jusqu’à la corde par des films qui finalement forment carrément un genre à part entière. On est reconnaissant à Alexander Payne d’avoir réalisé un film qui se situe à l’extrême frontière du genre, avec, entourant les trois personnages principaux incarnés par des acteurs inconnus, quelques riches figures marquantes.

Cette pause d’hiver n’a pas grand chose à voir avec Noël, mais tout à voir avec son supposé esprit. On comprend que c’est d’abord chez ceux qui trouvent "le monde amer et complexe", chez les exclus, chez "ceux qui restent" (The Holdovers), que peut advenir la grande générosité d’une réconciliation.

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°426, décembre 2023

1. Cornell University, l’université privée d’Ithaca (État de New York), est classée parmi les 15 meilleures universités au monde.

Winter Break (The Holdovers). Réal : Alexander Payne ; sc : David Hemingson ; ph : Eigil Bryld ; mont : Kevin Tent ; mu : Mark Orton ; déc : Ryan Warren Smith ; cost : Wendy Chuck. Int : Paul Giamatti, Dominic Sessa, Da’Vine Joy Randolph, Carrie Preston, Brady Hepner, Ian Dolley, Jim Kaplan, Micheal Provost, Tate Donovan, Gillian Vigman (USA, 2023, 133 mn).