par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°423, été 2023
Sélection officielle de la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes 2023
Sortie le mercredi 13 décembre 2023
Il faut bien se souvenir des sons entendus dans la première séquence du film de Elene Naveriani, car elle nous les fait entendre à nouveau sur le gros plan final de son personnage principal, avec la volonté de nous laisser libres d’y lire une conclusion qu’avec beaucoup de respect elle se garde bien de nous imposer.
Un jour qu’elle cueille des mûres, Ethero est distraite par le chant d’un beau merle et bascule dans le vide au-dessus d’un torrent. Elle parvient à s’agripper à un buisson et à remonter sur le replat. Plus tard, elle se voit morte, allongée dans un cercueil. C’est une femme un peu enrobée (elle avale à grosses bouchées d’énormes parts de mille-feuilles). À 48 ans, elle a toujours vécu seule, toujours vierge, sans homme pour ne pas aliéner sa liberté. Elle tient un petit commerce de produits d’entretien dans un village de Géorgie.
Jusqu’au jour où elle tombe sous le charme de son livreur arrivé en avance. Au fil des jours, une relation intense va se tisser entre ces deux personnages, qui n’ont rien de spécialement romantiques, mais qui éprouvent tous les deux le besoin de sortir d’une routine pesante. Pour Ethero, cette routine se manifeste à travers les autres femmes qui la côtoient, toutes plus préoccupées à préserver leur apparence, leurs colorations de cheveux, à colporter des commérages pénibles.
La réalisatrice excelle dans la manière d’opposer ces deux mondes féminins et à explorer une relation sexuelle qu’elle traite avec beaucoup de naturel et d’audace, en opposition avec les conventions du cinéma du tout-venant. En cela, elle est merveilleusement servie par ses deux comédiens principaux, qui prêtent leur visage et leur corps à cette découverte d’une relation intime sans tabou. Même si les contingences économiques éloignent le livreur pour une vie plus lucrative de chauffeur routier en Turquie.
Elene Naveriani filme cette chronique iconoclaste avec douceur, tout en retenue, sans verser dans le misérabilisme. Et elle se révèle être une magnifique coloriste dans le choix des motifs vestimentaires, les assemblages de couleurs des intérieurs, à l’image du monde intérieur de ses personnages. Jusqu’à évoquer peut-être le souvenir d’un autre merle, celui de Otar Iosseliani, Il était une fois un merle chanteur (1970).
Bernard Nave
Jeune Cinéma n°423, été 2023
Blackbird Blackbird Blackberry (Shashvi shashvi maq’vali). Réal : Elene Naveriani ; sc : E.N. & Nikoloz Mdivani d’après l’œuvre de Tamta Melashvili (2020) ; ph : Agnesh Pakozdi ; mont : Aurora Vögeli. Int : Eka Chavleishvili, Temiko Chichinadze, Lia Abuladze, Teo Babukhadia (Géorgie-Suisse, 2023, 110 mn).