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Sergent-major Eismayer (2022)
de David Wagner
publié le mercredi 13 décembre 2023

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°426, décembre 2023

Sélection officielle de la Mostra de Venise 2022

Sortie le mercredi 13 décembre 2023


 


Eismayer est le premier film du cinéaste autrichien David Wagner, né en 1982, titulaire d’un master de la Hamburg Media School, jusque-là surtout connu comme auteur de courts métrages. En 2014, un fait divers retint son attention : il apprit que le sergent-major Charles Eismayer et une jeune recrue d’origine serbo-croate, Mario Falak, venaient de se pacser. Tous deux posaient pour la photo, de blanc vêtus, rayonnants, arborant leurs décorations dans la cour de la caserne. Intrigué, David Wagner s’intéressa à ces deux personnages au point de leur consacrer son premier long métrage. Falak et Eismayer sont interprétés par de remarquables comédiens : Gerhard Liebmann (le rôle-titre) et Luka Dimić.


 


 

Reste une part documentaire dans le film. Le cinéaste nous fait pénétrer dans une caserne, avec les chambrées, les bureaux, les terrains de tir. Nous assistons à l’arrivée des nouvelles recrues et au rituel de l’appel. Les soldats en herbe sont apeurés, d’autant que Charles Eismayer (alias Charlie) leur fait comprendre à coup de vociférations et d’insultes qu’ils sont là pour obéir. C’est la terreur du régiment, connu comme tel par ses supérieurs hiérarchiques, qui leur fait exécuter des centaines de pompes et des exercices épuisants de présentation d’armes.


 


 

Personne ne réagit, sauf un joli jeune homme, un peu plus âgé que les autres, Mario, un réfugié de la guerre de Yougoslavie. Il veut faire son chemin dans sa nouvelle patrie, mais pas au prix de cacher ni sa qualité d’étranger, ni son homosexualité. "Qu’est-ce que ça a de si grave ?" déclare-t-il à l’un de ses camarades qu’il essaie d’attirer sous la douche. Légèrement moqueur, il tient tête au sergent, se rit des punitions imposées, court en tenue d’Adam dans la nuit glaciale en criant : "Les tapettes n’ont jamais froid, Monsieur le sergent-major".


 


 

On l’aura assez vite compris, Eismayer est lui aussi un homosexuel, mais de type honteux, qui se cache derrière l’institution de la famille - il est marié et père d’un jeune enfant. On le voit céder à ses penchants lors de fugitifs quickies à l’arrière de voitures avec des inconnus. Il tombe amoureux de Mario, fasciné par sa beauté et plus encore par sa liberté.


 


 

David Wagner, auteur du scénario, a soigné les dialogues dans lesquels le rôle de la langue, des dialectes et des accents régionaux est essentiel. Cette langue est inventive et drôle en ce qu’elle brise les tabous ; elle est aussi ordurière, truffée d’obscénités, de clichés sexistes, racistes, homophobes. Les mots servent de défouloir aux hommes qui ne sont pas libres. Le cinéaste oscille entre une dénonciation acerbe de l’armée, "symbole de notre société hétéro-normée", et le constat que l’institution s’adapte.


 


 

L’aspect critique du film est confirmé par les plans d’ensemble avec des hommes semblables à des soldats de plomb. Les séquences d’exercices militaires sont efficacement rendues par Serafin Spitzner, qui est par ailleurs le directeur de la photo de Sparta de Ulrich Seidl (2022). Au bout du compte, Eismayer est un film d’amour, où les protagonistes se soutiennent mutuellement. Le plus jeune, grâce à son énergie et à sa joie de vivre, aide son aîné à surmonter un cancer. Dans le cadre du mariage pour tous, ils ont le droit d’être heureux. La morale de l’histoire serait Make love, not war. Subtilement, David Wagner introduit le doute : apercevant un tank dans la cour de la garnison, Mario dit, pour rire comme à l’accoutumée : "Maintenant on part à la guerre". Puis une ombre passe sur son visage… Le spectateur de 2024 sait bien que la guerre, la vraie, n’est plus qu’à un jet de pierre de l’ancienne Autriche-Hongrie.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°426, décembre 2023


Sergent-major Eismayer (Eismayer). Réal, sc : David Wagner ; ph : Serafin Spitzer ; mont : Stephan Bechinger ; mu : Lylit ; cost : Monika Buttinger. Int : Gerhard Liebmann, Luka Dimic, Julia Koschitz, Anton Noon, Karl Fischer (Autriche, 2022, 87 mn).



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