Wong Kar-wai, né à Shanghai et installé à Hong Kong depuis qu’il a 5 ans, fait partie des cinéastes contemporains les plus singuliers. Sélectionné en 1989 par la Semaine de la Critique, il est révélé par As Tears Go By (1988) et, cinq ans plus tard, en 1994, Chungking Express devient un film culte. Sa dernière œuvre, Happy Together - Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes - confirme la virtuosité de l’auteur. Mais on aurait tort de négliger le rôle de Christopher Doyle, qui signe l’image depuis les débuts de la carrière du réalisateur. Leur collaboration présente ainsi un bel exemple d’harmonie et de complicité, nourrissant un style à la fois élégant et convulsif, désenchanté et obsessionnel.

Vraie ou fausse modestie, le cinéaste soutient que l’inventivité naît de la nécessité : "Notre style n’est pas une question d’esthétique. Il est imposé par le budget réduit de nos productions, par la non-autorisation de tourner dans les lieux publics, par les contraintes d’éclairages. Le mouvement et la caméra portable sont devenus un style".

Pour Happy Together, Wong Kar-wai retrouve Tony Leung et Leslie Cheung - très célèbres en Asie - qu’il avait dirigés dans Nos année sauvages (1990). Ils forment ici un couple qui essaie de vivre ensemble une nouvelle vie. "Si on repartait à zéro ?" est leur leitmotiv.

Dans l’amour comme dans l’Histoire - une évocation du rattachement de Hong Kong à la Chine -, l’unité espérée est une quête semée d’embûches. Crue et provocante, l’ouverture du film est en ce sens significative : Ho Po Wing et Lai Yiu Fai se repoussent et s’attirent en même temps, installés dans leur nouvelle ville, Buenos Aires, aussi populaire et dangereuse que Hong Kong. "L’homosexualité, comme l’Argentine, sont le bout du monde".

Loin de tout folklore exotique, le quartier de la Boca ne garde pour le cinéaste que son énergie sensuelle et le tango, tellement emblématique. Construite comme un voyage intérieur, la dernière fuite amoureuse de Wong Kar-wai réintroduit le sens du temps dès les images inversées, accélérées, de Taïpei.

Saisie en trois parties (la première en noir & blanc débute l’été, la deuxième en couleurs suit les prémices d’une nouvelle vie, la troisième enferme chacun dans sa propre intimité), l’histoire d’amour capte des instants palpables, entre violence contenue et pudeur dissimulée : tels ces sanglots enregistrés sur une cassette qui, déposée au phare d’Ushuaïa, laissent les traces d’un bonheur perdu.

Nadine Guérin
Jeune Cinéma n°246, novembre-décembre 1997

Happy Together (Chun gwong cha sit). Réal, sc : Wong Kar-wai ; ph : Christopher Doyle ; mont : William Chang & Wong Ming-iam ; mu : Danny Chung et Frank Zappa. Int : Leslie Cheung, Kwok Wing, Tony Leung, Chan Chen (Hong Kong, 1997, 96 mn).