par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°423, été 2023
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2023.
Prix du meilleur scénario
Sortie le mercredi 27 décembre 2023
Le comportement de Minato, en fin de primaire, inquiète sa mère qui l’élève seule. Elle devine, d’après ses allusions, qu’il y a un problème à l’école, avec le professeur Hori qui l’aurait traité de cervelle de porc et lui aurait tiré l’oreille jusqu’au sang. Elle déboule à l’école pour demander des comptes à l’équipe éducative, c’est une école privée, elle en est "cliente".
Mais elle est atterrée par les réactions. La directrice, qui fait aussi le ménage à l’occasion, s’excuse sans commentaire, s’inclinant bien bas devant la mère, avec trois autres enseignants et s’engageant à adopter des méthodes éducatives plus adaptées à Minato.
Côté professeurs, le professeur suspect évalue mal les motifs de sa mise en cause et poursuit son enseignement. Mais après un nouvel essai de dialogue infructueux qui ne lui vaut que quelques courbettes, et quelques échanges avec d’autres parents, qui croient connaître leurs enfants et dont les condamnations fusent vite, la mère réclame son exclusion.
Côté enfants, Minato et son ami Youri ont investi un wagon abandonné. L’un n’a que sa mère, qui commémore solennellement avec Minato la disparition du père vénéré. L’autre n’a que son père. Ils se construisent tous les deux un imaginaire secret sur leur terrain d’aventures, dans un décor encore à conquérir. C’est leur complicité intense et exclusive qui a valu la Queer Palm au film.
Une même histoire, trois positions, trois récits, ceux des adultes plus ou moins "responsables", celui des enfants libres. Tout le monde est civilisé et une vérité nuancée émergera petit à petit, appelant à la sagesse.
Hirokazu Kore-Eda est reconnu comme spécialiste des affaires familiales, elles-mêmes reflets de leurs sociétés matrices. Dans L’Innocence - le titre cannois était Monster -, non seulement, il adopte une forme inhabituelle en trois étages, mais il raconte un univers instable - les événements soudains d’une ville, un incendie, un glissement de terrain -, et il aborde un continent tabou - la sexualité des très jeunes enfants. Sous l’apparence d’un récit intime de son cru familier, il introduit, en douceur, cette inquiétude générale souterraine de l’avenir, que le monde dénie encore.
La mort, au mois de mars, du grand musicien Ryuichi Sakamoto (1952-2023), qui harmonise le film de sa dernière partition, c’est comme un signe.
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°423, été 2023
L’Innocence (Kaibutsu) aka Monster. Réal, mont : Hirokazu Kore-eda ; sc : Yūji Sakamoto ; ph : Ryūto Kondō ; mu : Ryūichi Sakamoto ; déc : Keiko Mitsumatsu ; cost : Kazuko Kurosawa. Int : Sakura Andō, Eita Nagayama, Yūko Tanaka, Shidô Nakamura (Japon, 2023, 126 mn).