par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°346, juillet 2012
Sélection officielle du festival de Cannes 2012
Éternel problème que celui de l’adaptation des œuvres littéraires au cinéma.
Quand il s’agit du livre-culte de Kerouac, cela devient une question proche de la métaphysique.
Et si personne jusqu’ici ne s’y était aventuré, c’est bien que le défi se révélait trop grand, voire l’impossible à relever.
Et puis, chaque lecteur de On the Road a tellement en tête son propre film que lorsqu’enfin Walter Salles se colle à la tâche, on l’attend forcément au tournant, et pour beaucoup, prêts à cogner sur le film avant même de l’avoir vu.
Le livre a acquis une stature qui dépasse de loin celle d’une simple œuvre littéraire. Manifeste d’une génération, bible de celles et ceux qui s’y reconnaissent encore aujourd’hui, texte quasi sacré dans sa gestation et dans son écriture, chaque lecteur a construit son propre rapport au "rouleau" devenu sacré, objet d’adoration.
Alors, en toute fidélité à l’esprit beat, commençons par reconnaître le droit au sacrilège, à savoir celui pour tout cinéaste de désirer, de rêver son propre On the Road. Ou alors, soyons puritains jusqu’au bout, interdisons à tout cinéaste le droit d’adapter toute œuvre littéraire.
Ce préambule posé, regardons le film pour ce qu’il est, tout en ayant, il va sans dire un petit Kerouac dissimulé dans la tête.
Walter Salles déroule le récit du trio de personnages principaux en suivant sa chronologie, au gré de leur errance à travers le continent, de leurs découvertes, lesquelles se situent tout autant sur le plan intérieur que sur celui du paysage.
Du paysage, il ne cherche pas à faire de la belle image.
La voiture colle littéralement au bitume et constitue davantage un habitacle dans lequel se joue une aventure, celle d’une relation complexe qui chamboule les conventions de l’Amérique des années 50 finissantes.
Ces séquences de voyage constituent autant de projections de ce qui se joue dans les moments au repos. Il y a comme une rapsodie entre mouvement et attente, entre les différents tempos du récit.
Salles tente dans une certaine mesure de retrouver ce qui est au cœur de l’écriture de Kerouac, à savoir une rythmique jazzy, une pulsation générationnelle.
Les personnages ne sont pas totalement conscients qu’ils inventent un nouvel "art" de vivre. Néanmoins, ils improvisent quelque chose qui à la fois se démarque du mainstream et en explore les marges.
La première séquence avec Sal Paradise parmi les hoboes à l’arrière d’un camion ancre son trajet dans une tradition, mais ce qu’il va vivre au contact de Dean Moriarty et de Marylou s’en démarque.
Salles capte assez bien le statut ambigu de l’écrivain à la fois partie prenante et témoin d’une expérience quasi existentielle dans laquelle la fièvre de la vie qu’il découvre se décline en notes rapidement jetées sur son carnet avant de s’organiser sur la machine à écrire pour devenir le célèbre "rouleau".
La crédibilité du film tenait principalement au choix des acteurs.
Sur ce plan, les choix de Salles s’avèrent particulièrement judicieux, que ce soit pour les rôles principaux que pour les figures secondaires (Viggo Mortensen en William Burroughs, par exemple).
Les enjeux du casting constituaient, à mon sens, l’élément déterminant, dans la mesure où ils entraient en concurrence avec les photos dont nous disposons et les images mentales laissées par la lecture du roman.
En définitive, toute la difficulté de la transposition se situe dans cette rémanence forte d’un texte qui contient une telle puissance iconique que, d’une certaine manière, il exclut la possibilité de la mise en images.
Alors, s’il est une chose que l’on a envie de faire à la sortie du film de Salles, c’est de s’emparer à nouveau du livre pour replonger dans le flot des mots.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n°346, juillet 2012
On the Road (Sur la route). Réal : Walter Salles ; sc : José Rivera d’après le roman de Jack Kerouac ; ph : Éric Gautier ; mu : Gustavo Santaolalla. Int : Sam Riley, Kristen Stewart, Garrett Hedlund, Kirsten Dunst, Amy Adams, Viggo Mortensen (France-Canada-Brésil, 2012, 140 mn).