Scrapper (La Bagarreuse) est le premier long métrage de Charlotte Regan qui, après avoir réalisé des clips musicaux à Islington, fut remarquée dans les festivals par ses films courts. Nous sommes ici dans une bourgade en bord de mer, en plein été. L’héroïne, Georgie, est une préadolescente de douze ans qui n’a jamais connu son père et dont la mère vient de mourir des suites d’un cancer. Désormais, elle vit seule dans un appartement alloué par la municipalité, que toutes deux occupaient jusqu’alors et qu’elle continue à entretenir de façon maniaque. Méfiante, à l’instar des personnages de Mike Leigh et de Ken Loach, des services sociaux, elle leur cache sa nouvelle situation de sans famille et s’invente un oncle ayant pour nom… Winston Churchill.

Comment survivre dans ces conditions ? Tel est le point de départ de ce film entremêlant fiction et réalisme. Voire néoréalisme puisque la protagoniste décide de devenir voleuse de bicyclette. Avec son copain Ali, elle chaparde les vélos, fait sauter en moins de deux tout type d’antivols, parfois sous le nez de leurs propriétaires. Avant de les fourguer à une marchande de cycles peu soucieuse de la question de la traçabilité, elle leur refait une beauté et les repeint de couleur différente ou, compte tenu de leur état, elle les dépèce pour en récupérer les pièces détachées. Il convient de préciser que le substantif scrap signifie aussi en anglais ferraille et fragment. Ce manège pourrait ainsi durer longtemps. Entre en scène un jeune adulte tout aussi excentrique, coiffé à la dernière mode, les cheveux décolorés prénommé Jason, qui s’avère être son géniteur, un père qu’elle n’a jamais connu.

S’engage une lutte pour le territoire que le nouveau venu cherche à squatter et à gérer. Georgie ne le lui cède pas d’un pouce. Elle lui rappelle son attitude passée et lui reproche de l’avoir abandonnée. Cela en termes sentis, son langage n’étant pas celui d’une enfant. On retrouve le thème dickensien, souvent traité au cinéma (récurrent dans les programmes du festival du film britannique de Dinard), des familles dysfonctionnelles. Néanmoins, le long métrage de Charlotte Regan se distingue du genre working class movie. La figure du père est somme toute singulière, dans la mesure où il n’exerce pas un boulot de prolo. Durant son absence, il a gagné son pain comme caissier d’une boîte de nuit à Ibiza. Georgie et Jason ont en commun leur marginalité mais aussi de l’ingéniosité et de l’énergie à revendre. C’est sur ce plan que notre héroïne va réussir à se réconcilier avec son père.

Charlotte Regan s’éloigne du traitement habituel de ce sujet rebattu en brisant le rythme du récit. Sa manière alterne plans des personnages principaux suivis caméra à l’épaule et contre-champs d’intervenants ne s’adressant pas à eux mais, directement, au spectateur. Celui-ci est pris à témoin non par des gens du cru mais par des comédiens, sur le mode godardien de Belmondo-Poiccard dans À bout de souffle (1960). Ce face-à-face caméra de personnages commentant l’action tient aussi du chœur antique. Il produit un effet de distanciation certain. Le naturalisme est atténué par le parti pris photographique à base de teintes pastel autant que par l’invraisemblance de certaines situations et du jeu contrasté des comédiens. La scène freudienne de la perte de dent est à cet égard métaphorique. Outre-Manche, ce n’est pas la petite souris qui vient consoler l’enfant édenté mais une protectrice dans le cadre du rite de passage dit de la Fairy Tooth, une bonne fée.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne diecte

Scrapper. Réal, sc : Charlotte Regan ; ph : Molly Manning Walker ; mont : Matteo Bini & Billy Sneddon ; mu : Patrick Jonsson ; déc : Hannah Backshall ; cost : Oliver Cronk. Int : Lola Campbell, Alin Uzun, Cary Crankson, Ambreen Razia, Asheq Akhtar, Joshua Frater-Loughlin, Aylin Tezel, Olivia Brady, Harris Dickinson, Matt Brewer, Laura Aikman (Grande-Bretagne, 2023, 84 mn).