par Lilia Penot
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 24 janvier 2024
Empruntant son titre à un texte éponyme de Jacques Derrida (1), Le Dernier des Juifs est un questionnement sur l’identité juive à travers la relation au judaïsme. Le film dépeint la vie de Bellisha, un jeune juif âgé de 27 ans qui vit chez sa mère dans une cité à Sarcelles. Les allers et retours de Gisèle entre son balcon et le salon, le marché auquel se rend Bellisha tous les matins, rythment leur quotidien.
Le jeune homme, assez banal au premier abord, Michael Zindel en fait un personnage touchant. Il affiche une certaine rébellion face à sa culture, notamment dans la relation qu’il entretient avec sa voisine arabe, qui masque une véritable difficulté à se construire une identité à part entière, alors que lorsque celle-ci semble extrinsèquement déterminée.
Quant à la mère juive dont la figure est régulièrement victime de clichés, Agnès Jaoui en révèle un personnage complexe qui ne cesse d’osciller entre tendresse et ironie. Noé Debré s’amuse avec ces codes, dans jamais basculer dans la caricature.
Un jour, leur appartement est cambriolé en leur présence, la mère et le fils doivent se cacher dans une chambre, pendant que les intrus inscrivent des tags antisémites sur le mur. Dans cette scène, rappelant les rafles de la Seconde Guerre mondiale, le réalisateur aborde avec justesse et sans artifice ni dramatisation les violences antisémites. Cet événement brutal met à jour l’oppression que Bellisha et sa mère subissent, et celle-ci décide soudain de déménager, alors que Bellisha, lui, semble rester indifférent.
Ce questionnement familial bouleverse leur routine familière et c’est le cœur de l’intrigue. Il reflète d’abord l’attachement identitaire d’une partie de cette population encore marquée par son départ d’Algérie. Et, en opposant les désirs de la mère et du fils, Noé Debré expose une dualité entre une génération fantasmant ce passé vécu et une descendance qui ne l’a pas connu. Il révèle surtout la dure réalité d’un monde divisé entre l’extérieur, marqué par des tensions communautaires, et l’appartement arborant une décoration emprunte de leur attachement au judaïsme.
Avec ce récit familial et intimiste, le réalisateur parvient à rendre universel ses questionnements identitaires. On retrouve finalement de l’espoir lors du deuil de la mère de Bellisha, tandis que Noé Debré efface les tensions communautaires pour laisser place à l’entraide. Il signe ainsi un premier film qu’il juge lui-même essentiel, y préférant la fable philanthropique au manifeste politique.
Lilia Penot
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Jacques Derrida, Le Dernier des Juifs, Paris, Galilée, 2014.
Le Dernier des Juifs. Réal : Noé Debré ; sc : N.D. & Élie Benchimol ; ph : Boris Lévy ; mont : Géraldine Mangenot ; mu : Valentin Hadjadj ; déc : Raphaël Mathié, Thibault Pinto ; cost : Élisa Ingrassia. Int : Michael Zindel, Agnès Jaoui, Solal Bouloudnine, Éva Huault, Youssouf Gueye, Rony Kramer, Pierre-Henry Salfati, Khalid Maadour, Thomas Blumenthal, Fabienne Chaudat (France, 2023, 90 mn).