par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024
Sortie le mercredi 14 février 2024
Quarante-cinq ans après le flamboyant Molière de Ariane Mnouchkine (1978), Olivier Py, homme de théâtre lui aussi (1), s’attaque à son tour au personnage emblématique de la scène française. Alors que Ariane Mnouchkine, avec des tableaux d’une beauté à couper le souffle et un acteur - Philippe Caubère - incroyable, s’était employée, en 260 minutes, à retracer la vie du comédien, Olivier Py réussit à faire revivre presque en direct, par de magnifiques plans séquences, les deux dernières heures de sa vie, alors qu’il interprète pour la énième fois Le Malade imaginaire dans son théâtre du Palais-Royal, disparu en 1781 pour laisser place à la Comédie-Française.
Molière est un malade, pas si imaginaire. Une toux épouvantable l’épuise et il crache le sang. Le théâtre, comme c’était le cas à l’époque, était un lieu de passage où les gens baguenaudaient, baisaient parfois, parlaient et n’écoutaient que fort rarement les comédiens. Il faudra attendre le sage et bourgeois 19e siècle pour que le théâtre devienne le lieu de recueillement que l’on connaît encore de nos jours.
Armande, sa jeune épouse, fille de Madeleine, avec tous les autres comédiens tentent de le dissuader de jouer ce soir-là, mais il n’en fait rien. C’est deux heures de souffrances et d’essoufflement que Olivier Py nous donne à voir grâce au talent de Laurent Lafitte (de la Comédie-Française), et d’une pléiade d’excellents comédiens - Jeanne Balibar incarnant, dans un flash-back (ou une apparition), une ardente Madeleine Béjart, mais aussi Jean-Daniel Barbin, Pierre-André Weitz, et le trio Dominique Frot, Judith Magre et Catherine Lachens campant trois marquises dignes du tableau "Que tal ?" de Francisco Goya.
On y trouve aussi Stacy Martin et dans le rôle de Michel Baron, le jeune comédien, dernier amour de Molière, Bertrand de Roffignac à qui Olivier Py a demandé de finir l’écriture du scénario avec lui. "J’avais lu tout ce que je pouvais lire, déclare-t-il. J’ai alors contacté Christian Biet, pour qu’il fasse une relecture historique du premier jet. Un Molière imaginaire certes, mais imaginable aussi. Il a corrigé un peu de syntaxe, l’emploi de certains lexiques. Nous avons aussi beaucoup parlé de ce qu’était le théâtre du Palais-Royal dont nous ne savons pratiquement rien. Ce que l’on en connaît n’existe que par association avec d’autres théâtres de l’époque. Et puis, il est mort peu de temps après avoir travaillé avec nous. J’ai alors appelé Bertrand de Roffignac pour que nous puissions ensemble lire et relire, assouplir la langue et inventer des outils scénaristiques qui allaient permettre le plan séquence".
Le film est une réussite indéniable, même si le metteur en scène ne résiste pas aux sirènes destructrices et solistes de son temps, nous présentant un Molière bisexuel, une cour - celle de Monsieur, frère du roi, entouré de multiples et ravissants gitons -, des traîtres à foison, une solitude épouvantable et le spectre de la mort dans un tableau final digne de… Molière, avec des hommes nus et des squelettes dansants. Il y a peu d’écrits sur sa vie. Sa liaison avec la coqueluche des acteurs de l’époque est supposée, mais non impossible. L’ambiance du théâtre du temps est bien rendue, de même que la fin de vie misérable du comédien de génie enterré à la va-vite, non pas comme un chien, mais en présence d’un chien qui aboie à la caméra et qui donne du sens au film, même si cette séquence n’était, paraît-il, pas voulue ainsi.
Un peu comme chez Ariane Mnouchkine, tout le monde a mis la main à la pâte pour donner une image à la fois réaliste et impressionniste des derniers moments du grand Jean-Baptiste Poquelin, au moment où le roi semble lui préférer l’autre Jean-Baptiste, Lully.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024
* "Le Molière imaginaire" est aussi le titre d’une suite pour orchestre de Nino Rota (1911-1979), créée le 15 décembre 1978 à Naples.
1. Olivier Py est directeur du Théâtre du Châtelet.
Le Molière imaginaire. Réal : Olivier Py ; sc : O.P. & Bertrand de Roffignac ; ph : Luc Pagès ; mont : Lise Beaulieu ; déc : Pierre-André Weitz ; cost : Yvett Rotscheid. Int : Laurent Lafitte, Stacy Martin, Jeanne Balibar, Judith Magre, Dominique Lachens, Olivier Py, Bertrand de Roffignac, Olivier Balazuc, Philippe Girard, Jean-François Perrier (France, 2023, 94 mn).