home > Films > Rivière de nuit (1956)
Rivière de nuit (1956)
de Kozaburo Yoshimura
publié le mercredi 6 mars 2024

par Andrea Grunert
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 6 mars 2024


 


Rivière de nuit fait partie des portraits de femmes, nuancés et sensibles, de Kozaburo Yoshimura. Il a souvent été comparé à Kenji Mizoguchi, dont il avait repris la réalisation de Osaka monogatari (1957) à sa mort en 1956. Le scénario de Rivière de nuit est écrit par Sumie Tanaka, connue pour sa collaboration avec Mikio Naruse et Kinuyo Tanaka.


 

Kiwa Funaki (Fujiko Yamamoto), l’héroïne du film, est présentée comme une femme sûre d’elle et pleine d’esprit. Encore célibataire à l’âge de 30 ans, elle résiste aux avances de plusieurs hommes et refuse des arrangements de mariage proposés par ses proches. Elle remet à sa place un partenaire d’affaires marié et dit à l’étudiant en art, malheureux en amour, qu’il est encore un enfant. Dépeinte comme une femme indépendante, Kiwa cherche à se réaliser dans son art : la teinturerie et la peinture de tissus de kimonos, de cravates et de sacs. Son père, un vieux teinturier (Eijiro Tono), reconnaît qu’elle l’a dépassé dans son art et il admire sa fille pour son talent et sa volonté.


 


 


 

Kiwa cherche à se faire un nom dans son domaine et réussit à présenter ses créations à des expositions à Kyoto où elle vit, mais aussi à Osaka et à Tokyo. Cependant, cette artiste et femme d’affaires douée est également une femme capable de passion. Elle tombe amoureuse d’un scientifique, le professeur Takemura (Ken Uehara). Bien qu’il soit marié, Kiwa entame une relation avec lui. Quand elle apprend que sa femme souffre de tuberculose, la nouvelle la tourmente. Après sa mort, Kiwa, au lieu d’épouser le veuf, décide de renoncer à son grand amour.


 


 

Rivière de nuit est un récit moral centré sur une femme qui vit selon des principes éthiques très stricts. Sa relation avec Takemura est contraire aux principes moraux de la société de son époque. En revanche, en renonçant au mariage une fois l’amant libre, elle contrecarre l’attente de ses proches qui souhaitent surtout la voir mariée. Mais Kiwa rejette les conventions selon lesquelles la place d’une femme est au foyer. Il lui est impossible d’épouser Takemura à qui elle dit : "Les hommes sont tous pareils. Rusés. Tu attendais que ta femme meure".


 


 

Un moment dans le film suggère qu’elle envisage le suicide. Après une scène dans laquelle elle avoue à une amie préférer mourir plutôt que d’être détestée par la fille adolescente de Takemura, vient une coupe franche sur le plan d’un ressac. Dans la scène suivante, Kiwa est montrée en contre-plongée, regardant l’océan du haut d’une falaise. Sa position dans l’espace et son regard perdu évoquent des pensées suicidaires.


 


 

Mais Kiwa, bien que le dernier plan du film montre son visage pétrifié de douleur, ne se suicide pas. Elle ne renonce pas non plus à l’homme qu’elle aime sous la pression de son entourage, comme maints autres personnages féminins du cinéma japonais. Elle prend sa propre décision, peut-être sous l’influence d’un sentiment de culpabilité. Son attitude, toujours directe, la met en opposition à l’image répandue de la femme japonaise soumise. Kiwa n’est pas le seul personnage féminin capable de vivre sans soutien masculin. Son amie Setsuko (Michiko Ai) gère une auberge. Une autre femme de son âge travaille dans le monde de la mode. Ces femmes autonomes renvoient à la lente transformation du système patriarcal au Japon et à l’émergence d’un nouveau type féminin qui rappelle les changements encouragés par les occupants américains après la guerre. Rappelons que l’égalité juridique des femmes est inscrite dans l’article 24 de la constitution japonaise de 1946.


 


 

Rivière de nuit est le premier long métrage que Kozaburo Yoshimura a tourné en couleur, un choix parfait pour un sujet traitant de l’art et des couleurs. Une palette restreinte de tonalités grises, brunes et bleues domine les kimonos et les autres vêtements. Les couleurs éclatantes de quelques tissus et de fleurs attirent davantage l’attention. Le rouge domine la scène d’amour entre Kiwa et Takemura, avec les corps des amants plongés dans une lumière magenta et jaune d’une intensité frappante.


 

Les coupes franches rendent plus vif le rythme généralement placide, tandis que les scènes avec Eitaro Ozawa dans le rôle d’Omiya, l’homme aux arrière-pensées sur son partenariat avec Kiwa, apportent quelques moments comiques. Le film est une étude de mœurs qui présente un parfait mélange de mélodrame et de réalisme et dans laquelle le fin portrait féminin rejoint celui de la société.

Andrea Grunert
Jeune Cinéma en ligne directe


Rivière de nuit (Yoru no kawa). Réal : Kozaburo Yoshimura ; sc : Sumie Tanaka d’après un roman de Hisao Sawano ; ph : Kazuo Miyagawa ; mont : Shigeo Nishida ; mu : Sei Ikeno. Int : Fujiko Yamamoto, Ken Uehara, Eijiro Tono, Eitaro Ozawa, Michiko Ai (Japon 1956, 104 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts