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Nome (2023)
de Sana Na N’Hada
publié le mercredi 13 mars 2024

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024

Sélection ACID au Festival de Cannes 2023

Sortie le mercredi 13 mars 2024


 


En 1969, en Guinée-Bissau, c’est la guerre. Nome et sa compagne quittent leur village à cause d’un crime : être amoureux. Lui part lutter contre les Portugais, elle part seule sur les routes, enceinte, l’un et l’autre suivis par un esprit mystique qui leur souffle des conseils. Le choix de Sana Na N’Hada de focaliser son récit sur le parcours parallèle de ses héros lui permet ainsi d’étudier les formes qu’a prises la résistance face aux colons. Les deux personnages incarnent les désirs de liberté et d’émancipation de la jeunesse de l’époque.


 


 


 

Mais l’une des subtilités scénaristiques de l’œuvre consiste en ce que ce besoin de liberté ne réside pas uniquement dans le rejet de la colonisation portugaise, mais aussi dans l’affranchissement de vieilles coutumes cruelles. L’autre subtilité consiste à adopter un point de vue dénué de romantisme envers la lutte. Ainsi, la misère du village des protagonistes, les promesses irréalisables de la révolution et la violence de guerre, achèvent de générer des frustrations et des haines qui transforment les personnages.


 


 

Ce faisant, l’auteur explique l’origine des dérives qui ont déchiré le pays par la suite. Et toute cette violence est rendue intelligemment visible grâce à l’utilisation d’une ellipse de six années, qui sépare le film en deux parties, l’avant et l’après-lutte, en nous transportant au côté de personnages ayant muté au point d’être méconnaissables en un changement de plan.


 


 

La force de l’interprétation de Marcelino António Ingira et Binete Undonque réside dans le fait qu’ils parviennent tous deux à jouer pratiquement deux personnages, chacun en conservant des rémanences de leur caractère ancien. Témoin de cette évolution, l’esprit voit sa présence diminuer à mesure que le récit progresse et que la rupture avec les traditions est consommée.


 


 

Cet aspect, qui traite d’un mysticisme ancestral bénéfique s’effaçant avec l’arrivée de la modernité, est accentué par le travail de la lumière. Tous les effets de l’éclairage et des couleurs comportent ainsi des tons à la fois crépusculaires et chauds, soit une combinaison permettant d’associer douceur et violence, vie et mort, au sein d’un même plan. Ce qui esthétise les décors de forêt, qui prennent l’allure de fragiles tableaux vivants dans la première partie, et amplifie l’aspect bouillant et oppressant de la seconde partie, qui est urbaine.


 


 

La poésie de l’œuvre est assurée par sa bande sonore et par le recours à des images d’archives agissant comme une ponctuation en venant s’insérer entre les diverses séquences. Des images tournées par l’auteur à l’époque de ses 18 ans, pendant la guerre d’indépendance produisent une beauté qui tient à la fois à leur valeur documentaire et à l’écho qu’elles trouvent avec l’histoire contée, gagnant ainsi une dimension intime et autobiographique, le comportement des personnages de fiction gagne en crédibilité. Oscillant entre conte et tragédie, Nome est un grand film qui à l’intelligence de montrer à la fois les rêves et les failles des Guinéens.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024


Nome (Nome et Tótala). Réal : Sana Na N’Hada ; sc : Virgilio Almeida & Olivier Marbœuf ; ph : João Ribeiro ; mont : Sarah Salem ; mu : Remna Schwarz. Int : Marcelino António Ingira, Binete Undonque, Marta Dabo, Abubacar Banor, Helena Sanca, Oksana Isabel (France-Guinée Bissau-Angola-Portugal, 2023, 117 mn).



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